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qu’il n’emploie pas à la chasse ou à la surveillance de ses animaux. Lorsqu’ils changent de résidence, c’est encore la femme qui se charge de faire et défaire la tente, et qui porte les armes de son mari.

Du reste la Providence, qui n’abandonne aucun misérable, accorde à ces pauvres femmes d’accoucher avec une facilité surprenante et sans le secours de qui que ce soit. Sitôt que l’enfant a vu le jour, elles se baignent avec lui à l’eau froide, puis elles reprennent immédiatement le cours de leurs occupations journalières sans qu’aucune indisposition soit jamais le résultat d’un pareil traitement.

L’existence du nouveau-né est soumise à l’appréciation du père et de la mère, qui décident de sa vie ou de sa mort. S’ils jugent à propos de s’en défaire, ils l’étouffent et le portent à peu de distance, où il devient la pâture des chiens sauvages ou des oiseaux de proie. Si l’innocent petit être est jugé digne de vivre, il est l’objet, dès ce moment, de tout l’amour de ses parents, qui, au besoin, endureraient les plus grandes privations pour satisfaire ses moindres exigences. Jusqu’à l’âge de trois ans, il est allaité par sa mère ; a quatre ans on lui perce les oreilles ; cette cérémonie, qui fait époque dans la vie des Indiens et remplace chez eux le baptême, a lieu de la manière suivante.

Un cheval donné par le père à son enfant, quel qu’en soit le sexe, est renversé sur le sol, les pieds fortement liés ; l’enfant orné de peintures, et entouré de ses parents et de leurs amis, est couché sur le cheval par le chef de la famille ou celui de la tribu, qui lui perce les oreilles avec un os d’autruche bien effilé ; puis, dans chaque trou, l’opérateur passe un petit morceau de métal quelconque destiné à agrandir les ouvertures opérées.

Comme dans toutes leurs fêtes, une jument fait le menu du festin, les proches parents se partagent les os des côtes, et chacun vient déposer celui qu’il a rongé aux pieds de l’enfant, s’engageant ainsi à lui faire un don quelconque. Pour clore la cérémonie, le personnage qui a opéré le percement d’oreilles fait à chacun, avec le même os d’autruche, une incision dans la peau de la main droite, à la naissance de la première phalange de l’index. Le sang qui sort de cette blessure volontaire est offert à Dieu comme sacrifice propitiatoire.

À partir de ce moment, on s’occupe de l’éducation de l’enfant, et dès qu’il atteint sa cinquième année, il monte seul à cheval et se rend déjà utile aux siens en gardant le bétail ; son père lui apprend à manier le lazo, les boules, la lance et la fronde. À dix ou onze ans époque à laquelle il est aussi formé qu’un Européen de vingt-cinq ans, son instruction est complète ; il coopère aux razzias et aux pillages.

Les Indiennes suivent souvent leurs maris dans leurs expéditions de guerre, et pendant que ceux-ci sont aux prises avec les soldats ou avec les fermiers, elles rassemblent et entraînent les troupeaux avec prestesse, aidées de leurs enfants. Ces hommes sauvages ne manquent ni de bravoure ni de hardiesse, et ne reculent point au premier choc d’un engagement sérieux ; ceux qui tombent dans la mêlée, sont rapportés chez eux, mais s’ils meurent pendant le trajet, ils sont enterrés à la hâte et sans aucune cérémonie. Ceux qui meurent sous la tente, au sein de leurs foyers, sont au contraire inhumés avec pompe.

Le corps, revêtu de ses plus beaux ornements, est étendu sur un cuir de cheval ; à chacun de ses côtés, sont placés ses armes et ses objets les plus précieux, tels qu’éperons, étriers d’argent, etc., après quoi, le cuir roulé sur lui-même est attaché fortement à de courts intervalles. On place ensuite le corps, ainsi enveloppé comme une momie, sur le cheval favori du défunt, auquel on a soin de casser préalablement la jambe gauche de devant, afin que sa marche boiteuse ajoute encore à la tristesse de la cérémonie.

Toutes les femmes de la tribu se réunissant aux veuves du défunt, poussent des cris perçants, et « les aident à pleurer ; » le plus souvent, les hommes, après s’être peint les mains et la figure en noir, escortent le corps jusqu’à la prochaine éminence, au sommet de laquelle ils creusent la sépulture. Une fois que le corps y est déposé et recouvert, ils abattent sur l’emplacement le cheval, porteur des dépouilles mortelles de son maître. Plusieurs autres animaux, chevaux et moutons, subissent le même sort ; ils sont destinés, selon la croyance de ces gens, à servir d’aliments au défunt, qu’ils prétendent n’avoir renoncé à la terre que pour aller vivre dans un monde inconnu.

Tous les objets de non-valeur laissés par le défunt, le cuir même qui lui servait d’abri, sont brûlés pour qu’il ne reste de lui aucun souvenir.

Les femmes, après avoir beaucoup crié et pleuré plusieurs jours de suite, accompagnent la veuve au domicile de ses parents avec lesquels elle doit rester, pendant plus d’un an, sans contracter aucune autre liaison, sous peine de mort pour elle et pour son complice.


Suite de ma captivité. — Vendu et revendu. — Idées de fuite. — Leçon sanglante de prudence et de dissimulation. — Nouvelles pensées de suicide. — Un maître humain par avarice. — Razzias.

On comprend que ce ne fut pas, pour un esclave comme je l’étais, l’affaire de quelques jours, ni même de quelques mois, que de recueillir les diverses observations que je viens de mettre sommairement sous les yeux du lecteur. Tombé comme je l’ai dit aux mains des Poyuches, je fus d’abord entraîné dans les plaines froides, sauvages et stériles du sud, où les vents impétueux et les révolutions subites de l’atmosphère, caractères inhérents aux extrémités polaires des grands continents, se manifestent avec plus de violence peut-être que sur un autre point péninsulaire du globe. Après plusieurs mois, vendu par mon premier maître à un second, puis cédé à un troisième, je fus, de vente en vente, de tribu en tribu, ramené vers le nord jusqu’en deçà du Colorado.

Changer de place n’était changer ni de condition ni d’occupations ; mes jours s’écoulaient longs et tristes : bien des mois se passèrent avant que je fusse en état