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Jamais un de ces Indiens ne boit ni ne mange sans avoir préalablement offert à Dieu la première part. Il se tourne vers le soleil, envoyé de Dieu, en déchiquetant un peu de viande ou renversant un peu d’eau. Il accompagne cette action des paroles suivantes, dont la formule sans être fixée varie très-peu :

Oh ! chachai, vita ouentrou, reyne mapo, frénéan
Oh ! Père, grand homme, roi de cette terre, fais-moi faveur,
votrey, fille enteux, comé qué hiloto, comé quéptoco,
cher ami, tous les jours, d’une bonne nourriture, de la bonne eau,
comé qué omaotu. — Pavré laga intché, hilo to élaémy ?
d’un bon sommeil. — Je suis pauvre, moi, as-tu faim ?
tefa quinié vousa hilo, hiloto tu fignay.
tiens, voilà un pauvre manger, mange si tu veux.

Après avoir pris son repas, il prépare un peu de tabac avec de la fiente de cheval ou de vache, bourre une petite pipe en pierre creusée par lui-même, se couche sur le ventre et hume sept à huit bouffées coup sur coup, pour ne les rendre par les narines que lorsqu’il lui est impossible de les garder plus longtemps. Il est alors effrayant à voir. Ses yeux se retournent, on n’en aperçoit plus que le blanc ; ils se dilatent à tel point qu’on les pourrait croire prêts à sortir de leur orbite ; la pipe s’échappe de ses lèvres qui ne peuvent plus la retenir ; les forces l’abandonnent, il est dans une ivresse voisine de l’extase et agité de mouvements convulsifs qui le font renâcler bruyamment, en même temps que la salive s’échappe à flots de ses lèvres entr’ouvertes, et que ses pieds et ses mains sont agités d’un mouvement analogue à celui d’un chien à la nage.

M. Guinnard enlevé par les sauvages.

Cet abominable état d’abrutissement volontaire fait le bonheur des Indiens et est l’objet de leurs sympathies respectueuses ; car ils n’auraient garde de troubler le fumeur auquel ils apportent de l’eau dans une corne de bœuf qu’ils plantent dans le sol à côté de lui. Leur dieu, selon l’habitude, a participé à cette réjouissance, car, au préalable, il lui a été offert trois ou quatre petites bouffées accompagnées d’une prière mentale.

Après avoir bu l’eau apportée, le fumeur, faisant un demi-tour sur lui-même, s’étend sur le dos pour se livrer momentanément au sommeil ; les femmes, les enfants même prennent part à ce plaisir sans que nul songe à s’y opposer.

M. Guinnard disputant aux chiens sa nourriture.

Qu’ils vivent dans le voisinage des Hispano-Américains ou dans les solitudes de la Patagonie, sous les premiers contre-forts boisés des Cordillères ou sur le sol nu et alcalin de la Pampa, tous ces nomades mènent un genre de vie presque uniforme ; leurs occupations sont