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hauteur, mais dont je ne m’étais pas préoccupé davantage, étant à la recherche du monument qui était devenu invisible pour moi. J’allais émettre un doute bien naturel sur la réponse de mon voisin, mais ayant fait quelques pas de plus en avant, tout un poëme se déroula devant mes yeux et je vis le chef-d’œuvre complet de l’orgueil humain dans sa plus naïve expression. Ce mur était bien réellement l’église, destinée à faire de l’effet sur le vulgaire, car si de profil il n’avait que trois pieds d’épaisseur, de face il présentait un portail complet, une façade. On entrait dans l’église en montant plusieurs marches ; au travers des fenêtres supérieures, on voyait des cloches qui laissaient soupçonner celles qu’on ne voyait pas. Des ornements, des vases sculptés donnaient à ce monument un extérieur grandiose, préface des richesses d’art qui ne pouvaient pas manquer de décorer l’intérieur. Voilà ce que j’avais entrevu de loin ; mais voici ce que je vis de près en me plaçant d’un autre côté. Ce mur, si bien orné de face, était seul, bien seul, étayé par des contre-forts qui le défendaient du vent. Ceux qui étaient entrés dans l’épaisseur du mur, en montant les marches de cette cathédrale, en redescendaient par derrière pour entrer dans une triste baraque à peine un peu plus grande que les autres cases. Ceux qui avaient vu les cloches dans l’intérieur du clocher, quand ils étaient placés devant la façade, pouvaient voir en profil un échafaudage de maçon sur lequel le sonneur était placé commodément pour carillonner ; on avait si bien fait les choses uniquement pour la gloriole que l’épaisseur du mur du côté de l’arrivée était seule enduite avec du plâtre, le revers n’offrait aux yeux que des pierres brutes ; qu’importe ! l’honneur, ou plutôt la vanité était satisfaite.

L’église de Santa-Cruz vue de face.
L’église de Santa-Cruz vue de profil.


Séjour à Santa-Cruz. — Navigation. — Les mangliers. — Les oiseaux. — Une pirogue.

Mon compagnon possédait une petite maison dans la ville, mais elle était tellement encombrée de caisses et de paquets qu’afin de s’éviter des dérangements il emprunta pour moi, à l’un de ses voisins, une grande pièce humide servant de magasin à plâtre. On balaya la place de mon matelas ; et d’un tonneau de morue on me fit une table-toilette. Pendant qu’on prenait ces soins, je me mis à l’aise, et malgré la somptuosité de l’église, malgré quelques habits noirs portés par des individus qui sont des Vendedôrs, car dans leurs boutiques, on trouve des vases toujours ébréchés, de la poudre toujours éventée, des allumettes invariablement humides, en un mot, malgré toute l’apparence aristocratique des habitants de Santa-Cruz, j’eus l’inconvenance de me débarrasser de mes bottes et de m’en aller par les rues, pavées avec du gazon, pour chercher le bord de la mer et m’y coucher sur le sable, sous des mangliers que j’avais vus de loin. J’avais encore la faiblesse de croire qu’on peut dormir en plein air au Brésil. À peine étendu sur le sol je fus assailli par des armées d’insectes de toute espèce. Le moyen de fermer les yeux ? Pourtant j’en avais bien besoin. Je quittai forcément ce lieu et je revins me mettre sur le matelas qui m’avait été préparé. Seulement, comme on venait de balayer ma chambre, il