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n’entends-tu pas la clochette de la vache ? » Et le pauvre Pinerol reçoit un revers de main sonore, et il pleure en disant : « Y en a-t-il de ces diables de bêtes qui passent par Naples pour me faire rouer de coups ! »

La mère allume le feu. Passent les marchands de viande et de légumes pour la soupe : il est huit heures. Les belles vendeuses d’œufs, qui ne se mettent pas en route avant neuf heures, indiquent à Pinerol qu’il est temps de balayer la maison ; mais lorsqu’il entend la voix rauque du marinaro qui arrive de Sorrente et qui crie son beurre (le beurre de Sorrente est exquis), Pinerol court vers sa mère et la presse de mettre la soupe dans le pot-au-feu, parce qu’il est dix heures.

À onze heures passent les recuites (ricotte) de Castellamare, et Pinerol met la table en chantant ; puis tout à coup un chœur discordant s’élève de partout ; les vendeurs crient tous à la fois, et Pinerol éclate en transports d’allégresse. Il est midi, l’heure où l’on mange ! « À manger, mère, à manger ! » (Ohi mà, a magnà ! )

Dessins de Ferogio.

Arrivent après les marchands de radis et de raiponces : il est une heure.

La mère et le fils remercient Dieu et se lèvent de table ; elle se remet à l’ouvrage et il lave les plats. Passent les châtaignes rôties : deux heures. À trois heures, la vendeuse d’eau soufrée (nous la retrouverons plus tard) apporte, comme d’habitude, son verre plein à la veuve. À quatre heures, les vaches sortent, et Pinerol a la permission d’aller jouer, mais jusqu’à cinq heures seulement, l’heure où les vaches rentrent. Jusqu’à présent, les bruits de la rue ont marqué le temps sans discontinuer.

Ici cependant il y a une lacune, à moins que le marchand de poissons ne vienne annoncer six heures ; mais il est irrégulier et quinteux comme les hasards de la pêche et les caprices de la mer. Au défaut de rumeurs périodiques supplée le soleil qui décline et le jour qui meurt. La nuit tombe, et Pinerol allume la lampe ; les vendeurs nocturnes reprennent la tâche interrompue et remplacent la sonnerie des horloges qui n’existent pas. Passent les olives : neuf heures ; la veuve et Pinerol se mettent à souper tête à tête ou, comme on dit ici, cœur à cœur. Revient le marchand de marrons : dix heures. Arrive une heure après le marchand de lapins, dont la voix sinistre annonce qu’il est temps de s’aller coucher. Pinerol, à qui sa mère racontait en ce moment le Cunto de la cunti (le Conte des contes), récit populaire qui défie toutes les imaginations de l’Arioste et d’Alexandre Dumas, Pinerol envoie le marchand de lapins à tous les diables. Mais il le faut ! On dit son rosaire et l’on se couche. Les cloches sonnent ; c’est minuit ; et comme les montres des sonneurs des trois cent soixante-dix églises de Naples ne sont pas d’accord, le tocsin continue pendant un bon quart d’heure. Enfin la dernière vibration du dernier clocher en retard s’éteint dans le silence. Et Pinerol dort… jusqu’au passage des marrons bouillis.

C’est ainsi qu’on vit dans les bas quartiers de Naples, et vous voilà déjà initié à quelques-uns des petits métiers ambulants qui font vivre ce peuple qui vit de si peu. Mais il y a mille et un autres métiers qui méritent votre attention et la réclament. Voulez-vous, monsieur, venir avec moi dans la rue du Port, un soir d’hiver ou un soir d’été, n’importe, c’est toujours le même mouvement et le même bruit. Figurez-vous entre deux rangées de maisons ; deux