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forte, puisque des pierres de huit à neuf pouces de diamètre, jetées vers le centre de l’orifice, sont repoussées avant de l’avoir touché et lancées de côté. La température du jet est si élevée qu’un thermomètre dont le maximum marquait cent cinquante degrés de Farenheit (quatre-vingt-quatre degrés centigrades), mis en travers, a éclaté. Autour des respiraderos se trouve le soufre précipité soit par les eaux, soit par les vapeurs qui en jaillissent. On le rencontre à des états différents : en petites masses compactes, à cassure brillante et d’une grande pureté ; en granules mélangées à du sable ; à l’état de fleur déposée par les vapeurs qui se sont condensées sur les parois verticales.

Selon M. Pablo Perez, le volume d’eau des respiraderos varie : il a notablement accru depuis deux ans ; mais au commencement des pluies il diminue. Ces eaux se réunissent vers le centre du cratère pour former de petits réservoirs. « Il y a deux ans, me dit M. Perez, on y voyait une petite lagune d’environ douze vares (dix mètres) de largeur. » À en juger par l’inclinaison du sol sur les bords, elle ne pouvait pas avoir une grande profondeur. L’eau a une couleur jaune verdâtre et répand une odeur soufrée ; elle ronge tout ce qu’on y jette, ce qui fait présumer qu’elle contient des acides. Avant sa formation, la place où elle se trouve se composait de sable mêlé de soufre.

Ces détails m’ont été confirmés par D. Narciso Bringas, administrateur de l’exploitation de soufre pour le compte de D. Juan Mugica. Cependant M. Sountag, dans son rapport, ne parle que d’une petite rigole située du côté de l’est, entre la lisière de la neige qui couvre le fond du cratère et la base des débris. Quelles sont les lois qui régissent ces croissances et décroissances d’eau dans le cratère ? Je l’ignore et je me contente d’indiquer les données que l’observation et les renseignements m’ont permis de recueillir.

Partout, excepté dans le voisinage des respiraderos, le fond du cratère est couvert de neige. Elle est dure à sa surface et souillée de dépôts sulfureux, de sable et de pierres. Ce soufre, sous les états divers indiqués précédemment, se rencontre en abondance. Une exploitation, certainement peu soigneuse, en a extrait néanmoins sept mille arrobes (environ huit cents quintaux métriques), en moyenne.

« À environ trente-cinq vares au-dessous du Malacate (vingt-neuf mètres), dit M. Perez, la muraille rocheuse est percée d’un trou ou caverne nommé voladero, d’où sort un courant d’air excessivement froid et d’une force telle, que les hommes qui descendent, en sont fortement incommodés. Souvent il leur arrivait de tourner sur le câble comme une girouette. »

Au moyen d’une observation barométrique, M. Sountag a trouvé la hauteur du fond du cratère au-dessus de Mexico égale à deux mille huit cent quarante et un mètres cinquante centimètres.

Du pico Mayor à l’Espinazo del Diablo, M. Sountag trouve trigonométriquement une distance de huit cent vingt-six mètres. Mais cette distance est inclinée ; elle ne peut donc pas être considérée comme le vrai diamètre entre ces deux points, d’autant plus que la cime du pico Mayor n’est pas immédiatement au-dessus du bord perpendiculaire du cratère, mais un peu plus à l’ouest. En supposant que les parois du cratère descendent perpendiculairement sous l’une et l’autre cime, le diamètre horizontal calculé sur les chiffres de M. Sountag se réduit, en chiffres ronds, à huit cents mètres.

Vers les quatre heures et demie du soir, MM. Salazar et Ochoa, sur lesquels je ne comptais plus, firent tout à coup leur apparition au milieu de nous. Ces courageux jeunes gens avaient su vaincre les souffrances et la fatigue qu’ils avaient éprouvées. Leur ascension, rendue déjà pénible par le temps plus long qu’ils avaient employé pour gravir le volcan, l’était devenue beaucoup plus encore par le vent qui s’était levé vers deux heures de l’après-midi.

La situation de M. Sountag empirait à chaque instant ; il se plaignait de maux de tête et surtout de douleurs aiguës dans la région du cœur. Il eut pourtant la force de se traîner dans la Cueva del Muerto que j’avais fait débarrasser de la neige qui l’obstruait. Au moyen de quelques débris de planches, on abrita l’intérieur de cette petite grotte tant bien que mal, et nous nous y serrâmes tous pour nous réchauffer les uns contre les autres.

Pendant que le temps se passait à grelotter, la nuit avançait ; de légers nuages flottaient à l’embouchure du cratère, au-dessus de nous. D. Saturnino se décida subitement à descendre à Tlamacas, afin d’y passer la nuit, nous laissant avec le guide et nos Indiens.

À mesure que la nuit approchait, le froid devenait plus vif. La grotte était si petite qu’elle pouvait à peine contenir cinq personnes. Nous étions assoupis ; un silence profond régnait parmi nous, interrompu seulement par le grondement sonore qui montait du cratère, ou par les soupirs plaintifs de mes compagnons. Les Indiens seuls avaient conservé toute leur vivacité, et ils chantèrent leurs refrains monotones de temps à autre, jusque bien avant dans la nuit. Enfin, se recroquevillant dans leurs couvertures, ils s’endormirent sur un pan de rocher avec le ciel pour baldaquin.

Cette nuit fut pour moi la plus cruelle de ma vie. Une soif ardente m’empêchait de sommeiller. Ma tête était en feu et mes membres étaient gelés. Un malaise, augmenté par les émanations sulfureuses que nous respirions, m’agitait les nerfs au point qu’il me fallait continuellement changer de position. Mon pouls battait cent vingt pulsations par minute. Du fond de l’abîme s’élevaient des sifflements sinistres couverts à certains moments par le fracas de quelque roche qui s’engouffrait ou par les rugissements des fournaises souterraines. On peut croire que j’attendis le matin avec impatience.

Dès que l’aube, se montra, je me glissai hors de notre grotte et je grimpai sur le bord oriental, où j’absorbai une quantité incroyable de glace, pour me désaltérer. Une clarté blafarde commençait à poindre vers l’est.


    une expédition fin mai 1857, dit que les respiraderos sont au nombre de cinq, et que le plus grand a six mètres trente-trois centimètres de diamètre.