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ment à gauche vers le rocher placé au point le plus bas du plan incliné. On en fait le tour, et, en se tenant aux anfractuosités, on ne tarde pas à se trouver sur une petite plate-forme à surface inégale, derrière laquelle il y a une petite grotte entourée de quelques planches, et que les Indiens appellent la Bueva del Muerto, à cause d’un de leurs camarades qui y est mort presque subitement. Précisément, au-dessous de cette petite plate-forme, s’en trouve une seconde de dimension un peu plus grande, qui avance en saillie au-dessus du cratère. C’est sur cette dernière qu’on a établi un cabestan grossièrement, mais solidement façonné. Grâce à lui, jusqu’à présent, la descente au fond du cratère a toujours eu lieu sans accident. On ne m’a cité que la mort d’un Indien qui a voulu opérer la descente du côté du pico Mayor, pensant qu’il pourrait passer de saillie en saillie, et qui fut victime de sa témérité.

Du haut de la plate-forme du Malacate, on embrasse la presque totalité du cratère. Son aspect, bien que grandiose, ne me produisit pas l’impression à laquelle je m’attendais. Dans de pareilles circonstances, l’imagination préoccupée et surexcitée d’avance passe peut-être trop facilement d’une extrémité à l’autre. Pour moi, j’ai admiré cette gigantesque fournaise presque éteinte, mais elle ne m’a pas fait éprouver cette horripilation dont parlent nos prédécesseurs. L’énorme diamètre de la circonférence supérieure, les amas de débris accumulés en bas, diminuent beaucoup la sensation que fait éprouver une grande profondeur. Les précipices des Alpes, les crevasses béantes que l’on rencontre sur le versant des Cordillères, causent des émotions beaucoup plus fortes. Une force inconnue vous attire dans ces abîmes, la tête bourdonne et se perd, et on a vu des gens obligés de se faire retenir, pour ne pas s’y précipiter. Je n’éprouvai aucune de ces sensations et je profitai de ma tranquillité pour voir de mon mieux.

La paroi du cratère est circulaire et forme un cylindre creux presque parfait. Sur les trois quarts de sa circonférence, la roche se divise en zones horizontales d’une grande épaisseur, qui deviennent inclinées vers le pico Mayor. À gauche et à droite de la plate-forme du Malacate, sous l’Espinazo del Diablo et près du pico Mayor, la roche est tourmentée, et de rouge pâle qu’elle était, passe à une nuance de noir ferrugineux. Au lieu d’être en zones horizontales ou inclinées, elles se transforme en énormes feuillets dentelés, déchiquetés, tranchants, pressés les uns contre les autres et ne montrant que leur arête comme la lame d’un couteau dont on ne voit que le fil. Ces feuillets, autant que j’ai pu les suivre, se prolongent avec une légère inclinaison, non-seulement jusqu’au fond du cratère, mais probablement à une plus grande profondeur, car c’est entre eux que serpentent les seules fumerolles dont la bouche vient affleurer le sommet du volcan. Partout où la roche est disposée en couches horizontales, ou seulement inclinées, il n’y a pas une seule fumerolle.

Au bas de la paroi circulaire, sont accumulées des quantités considérables de débris de roche et de sable tombés du pourtour supérieur du cratère. Ces matériaux, suivant leur poids spécifique, se sont accumulés en un plan incliné de quarante-cinq degrés, d’après M. Sountag. Les gros fragments ont roulé vers les parties inférieures, tandis que les sables sont restés en haut. Mais le plan incliné est loin de s’élever à la même hauteur et d’avancer également loin sur le fond du cratère. À son point d’appui contre les parois verticales, il décrit une ligne sinueuse variant de douze à soixante mètres d’élévation perpendiculaire, et comme il conserve à peu près une inclinaison identique, sa projection sur le fond du cratère est proportionnelle et marque des sinuosités semblables. C’est vers la paroi du nord, précisément au-dessous de la plate-forme du Malacate, que l’accumulation est plus considérable ; elle y atteint la hauteur d’environ soixante mètres. L’estimation de M. Sountag qui, dans une seconde expédition, a pu descendre dans le cratère, s’éloigne peu, quoique faite à vue d’œil, de la hauteur que j’ai trouvée d’après les données de D. Pablo Perez. En effet, ce dernier ne pouvait descendre le plan incliné qu’en se retenant à un câble, servant de rampe, fixé à la hase de la paroi et assez long pour aboutir à la fin de ce plan. La longueur de ce câble était d’environ cent vingt vares (cent mètres vingt-six centimètres), et sa nécessité démontre que l’angle de quarante-cinq degrés admis par M. Sountag n’est pas exagéré. Avec ces éléments, il était facile de calculer la hauteur d’un triangle rectangle dont l’hypoténuse et son inclinaison sont connues, et j’ai trouvé soixante-trois mètres pour cette hauteur, différant, comme on voit, de trois mètres seulement de l’estimation de M. Sountag.

Ces amas de débris occupent une grande partie du fond du cratère et réduisent considérablement sa surface. Le centre est couvert de neige mélangée à des matières étrangères telles que sable, cailloux et particules de soufre. Tout autour et à des niveaux différents, on voit des jets de force différente. Les principaux, dont un se voit en face de la plate-forme du Malacate, et l’autre à gauche, lancent bruyamment une colonne rouge à l’orifice, puis jaune, enfin blanche : ce sont les respiraderos. D’autres moins importants, sont disséminés et restent à l’état de fumerolles. Le nombre des respiraderos varie ; il y en avait quatre en 1856, dont deux seulement étaient de l’eau, aujourd’hui, il paraît qu’ils sont plus nombreux. Ce fait n’a pas une grande valeur en lui-même, car il suffit d’un amas de fragments de rochers pour boucher un soupirail et pour obliger le courant ascendant à se détourner ou à se diviser en plusieurs courants secondaires, en se frayant peu à peu le passage du côté où la pression supérieure est le plus faible.

Vus de la plate-forme du Malacate, les respiraderos ressemblent à une colonne de fumée sortant de la cheminée d’une locomotive. Mais en bas, M. Sountag s’est assuré de leur véritable dimension. Celui qu’on aperçoit à gauche, non loin de la paroi sud du cratère, a environ neuf mètres de diamètre[1]. La puissance du jet est très--

  1. Le capitaine du génie D. Lorenzo Perez Castro, qui a fait