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Je sondai avec mon pic la profondeur de la couche, et je m’assurai qu’elle était peu considérable vers la lisière. Chaque jour, pendant la saison sèche, la limite de neige remonte vers le sommet. Au moment de notre ascension et malgré la température, nous avons rencontré, de bas en haut, une zone de sable humide, de la glace peu épaisse et de la neige dont l’épaisseur allait toujours en croissant. L’action du soleil qui se fait toujours sentir plus ou moins, sèche journellement une partie de l’humidité, liquéfie un peu de glace, et entame la neige qui, en descendant, rencontre le bord supérieur de la zone des glaçons et se congèle aussitôt. De cette sorte la neige, se retirant progressivement, fait monter peu à peu la zone des glaçons et la zone humide, jusqu’à ce que la saison pluvieuse, que sur ces hauteurs on pourrait appeler neigeuse, enveloppe de nouveau le Popocatepetl de son manteau blanc, et prépare de la besogne à la saison sèche de l’année suivante.

Tout en faisant ces réflexions, notre marche se ralentissait peu à peu. D. Saturnino, qui était devant moi, conservait bravement son allure. Il paraissait même monter d’un pas plus ferme. Mais, en se retournant, sa figure pâle, ses lèvres bleuies, la contraction nerveuse de sa bouche et de ses narines dilatées montraient assez combien la respiration lui devenait pénible. Pour moi, j’étais couvert de sueur et mes poumons semblaient, s’affaisser, tant le mouvement d’inspiration était accéléré et court. La neige, dont la surface est toujours durcie à cette époque, offrait aux pieds un excellent appui, et l’ascension y était incomparablement plus aisée que dans le sable ou sur les glaçons ; mais l’air était si délié, si sec, si froid, que cet avantage était plus que compensé. Notre majordome, emporté par sa fougue et suivi du guide Augel, était bien au-dessus de nous. À peine pouvait-on les apercevoir, et malgré la distance qui les séparait de nous, on voyait qu’ils étaient bien loin encore du sommet. M. Sountag nous suivait de près, et comme il commençait à se plaindre des douleurs de cœur, ce qui augmentait sa difficulté de respirer, nous l’attendîmes, D. Saturnino et moi. Quant aux élèves, dont le sort m’inquiétait beaucoup, ils étaient hors de vue, et je croyais fermement qu’ayant abandonné l’entreprise, ils étaient retournés au rancho de Tlamacas.

Après avoir bien assujetti nos voiles autour de la figure, afin de nous ménager entre le voile et la face une petite couche d’air artificiel, un peu plus chaud et chargé, d’un peu d’acide carbonique, nous continuâmes notre chemin en zigzag. Une minute ou deux de repos tous les quarante ou cinquante pas, nous faisait un bien inexprimable, car, moins la respiration était complète, plus nous perdions nos forces. Le plus à plaindre de nous trois était M. Sountag, affecté d’une hypertrophie du cœur déjà ancienne, et sujet, en outre, à des palpitations. Il sentait son cœur augmenter de dimension à mesure que nous nous élevions ; ses poumons refoulés, ne fonctionnaient qu’incomplétement ; la circulation était devenue imparfaite. Sur sa figure, dont les couleurs naturelles avaient disparu pour faire place à des teintes d’un bleu plombé, se peignait une angoisse qu’il cherchait à surmonter courageusement ; les paupières étaient bouffies et lourdes, et de l’écume se montrait aux commissures des lèvres. Cet aspect m’effraya, car je craignais un accident grave, et dans ce cas, que serions-nous devenus ? nous qui étions presque sans force, à mille pieds du sommet, à une distance quatre ou cinq fois plus grande de la base du volcan. Dissimulant de mon mieux les impressions que j’éprouvais, je hâtai notre marche autant que possible, car des Indiens et quelque secours nous attendaient en haut. Enfin une odeur prononcée de soufre nous avertit que nous étions près du cratère ; après quelques efforts la tête du guide nous apparut, comme si elle sortait d’une boîte à surprise, et sa vue, nous annonçant que nous étions près du but, nous fortifia à un tel point qu’il ne nous fallut que quelques minutes pour le rejoindre.

Il était une heure et demie de l’après-midi quand nous enjambâmes la balustrade de neige qui borde la lèvre du cratère. De la région neigeuse nous avions brusquement passé sur un plan incliné de sable chaud tourné vers le sud. Notre premier soin fut de nous étendre tout du long pour nous délasser au soleil comme de vrais lazzarone. Par malheur, la réaction se fit bientôt sentir. Un petit vent dur et sec se levait, et les rayons du soleil commençaient à devenir obliques. Notre peau, moite de sueur en arrivant, s’était séchée comme par enchantement ; elle se ridait et se gerçait à force de se contracter. Je crus que le moment était venu de nous réconforter, et je fis distribuer les vivres que nos Indiens avaient apportés. Nous avions pensé que des vins liquoreux, de l’eau-de-vie, tout en excitant l’estomac, pourraient nous stimuler et nous aider à résister au froid qui nous envahissait. Mais j’eus l’occasion de me détromper, car, sur ces hauteurs, les alcools n’ont aucune action persistante, et loin de vous fortifier, ils vous affaiblissent. Au moment où ils arrivent dans l’arrière-gorge et dans l’estomac, ils brûlent et calcinent les tissus qu’ils baignent, mais n’exercent aucun effet au delà. Le majordome, arrivé le premier de nous tous, s’était déjà livré à d’amples libations, et loin d’avoir repris son activité naturelle, il était couché, pâle et défait, incapable de dire un mot et de nous servir. M. Sountag souffrait beaucoup de la poitrine et eut à peine la force de prendre quelque nourriture. Pour moi, j’étais très-faible aussi ; aux premières gorgées de vin, je m’étais arrêté ; au lieu d’éteindre la soif ardente qui me dévorait, il ne faisait que l’accroître. Les aliments me répugnaient, je n’éprouvais pas le moindre appétit, quoique nous qu’eussions rien pris qu’un peu de café le matin avant de partir. Craignant de me laisser dominer par ces symptômes de faiblesse, je me mis à manger de la neige, qui me rafraîchit l’intérieur, et je pris quelques vêtements chauds pour réchauffer l’extérieur.

Nos instants étaient précieux, car le temps se passait. M. Sountag avait à prendre plusieurs observations, et de plus, nous avions l’intention de descendre au fond du cratère. En conséquence, je fis déballer la corde de