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vancer jusqu’aux approches du cratère, où d’épais tourbillons de fumée, une pluie de cendres brûlantes et d’étincelles, vomis du sein enflammé du volcan, et chassés sur la croupe de la montagne, faillirent les suffoquer en même temps qu’ils les aveuglaient. C’était plus que leurs corps, tout endurcis qu’ils étaient, ne pouvaient supporter, et ils se virent à regret forcés d’abandonner leur périlleuse entreprise, au moment où ils touchaient au but. Ils rapportèrent, comme trophées de leur expédition, quelques gros glaçons, produits assez curieux dans ces régions tropicales, et leur succès, sans avoir été complet, n’en suffit pas moins pour frapper les naturels de stupeur, en leur faisant voir que les obstacles les plus formidables, les périls les plus mystérieux, n’étaient qu’un jeu pour les Espagnols. Ce trait, d’ailleurs, peint bien l’esprit aventureux des cavaliers de cette époque, qui, non contents des dangers qui s’offraient naturellement à eux, semblaient les rechercher pour le plaisir de les affronter. Une relation de l’ascension du Popocatepetl fut transmise à l’empereur Charles-Quint, et la famille d’Ortaz fut autorisée à porter, en mémoire de cet exploit, une montagne enflammée dans ses armes.

« Au détour d’un angle de la sierra, les Espagnols découvrirent une perspective qui leur eut bientôt fait oublier leurs fatigues de la veille. C’était la vallée de Mexico, ou de Tenochtitlan, comme l’appellent plus communément les naturels ; mélange pittoresque d’eaux, de bois, de plaines cultivées, de cités étincelantes, de collines couvertes d’ombrages, qui se déroulaient à leurs yeux comme un riche et brillant panorama. Les objets éloignés eux-mêmes ont, dans l’atmosphère raréfiée de ces hautes régions, une fraîcheur de teintes et une netteté de contours qui semblent anéantir la distance. À leurs pieds s’étendaient au loin de nobles forêts de chênes, de sycomores et de cèdres, puis, au delà, des champs dorés de maïs et de hauts aloès, entremêlés de vergers et de jardins en fleurs ; car les fleurs, dont on faisait une si grande consommation dans les fêtes religieuses, étaient encore plus abondantes dans cette vallée populeuse que dans les autres parties de l’Anahuac. Au centre de cet immense bassin, on voyait les lacs, qui occupaient à cette époque une portion beaucoup plus considérable de sa surface ; leurs bords étaient parsemés de nombreuses villes et de hameaux ; enfin, au milieu du panorama, la belle cité de Mexico, avec ses blanches tours et ses temples pyramidaux, la « Venise des Aztèques, » reposant, comme sa rivale, au sein des eaux. Au-dessus de tous ses monuments, se dressait le mont royal de Chapoltepec, résidence des monarques mexicains, couronné de ces mêmes massifs de gigantesques cyprès, qui projettent encore aujourd’hui leurs larges ombres sur la plaine. Dans le lointain, au delà des eaux bleues du lac, on apercevait, comme un point brillant, Tezcuco, la seconde capitale de l’empire ; et plus loin encore, la sombre ceinture de porphyre qui servait de cadre au riche tableau de la vallée.

« Telle était la vue magnifique qui frappa les yeux des conquérants. Et aujourd’hui même encore, que ces lieux ont subi de si tristes changements, aujourd’hui que ces forêts majestueuses ont été abattues, et que la terre, sans abri contre les ardeurs d’un soleil tropical, est en beaucoup d’endroits frappée de stérilité ; aujourd’hui que les eaux se sont retirées, laissant autour d’elles une large plage aride et blanchie par les incrustations salines, tandis que les villes et les hameaux qui animaient autrefois leurs bords sont tombés en ruine ; aujourd’hui que la désolation a mis son sceau sur ce riant paysage, le voyageur ne peut les contempler sans un sentiment d’admiration et de ravissement[1]. »

Parmi les plantes que nos botanistes recueillirent sur cette route, il y en a une à laquelle le guide Augel attribuait une vertu singulière. Cette herbe, connue sous le nom de ocosochitl (flor de pié de ocote), aurait, selon lui, la propriété de faciliter la respiration quand on gravit le volcan. On en remplit la calotte de son chapeau, et lorsque l’oppression devient forte, on aspire l’arome qu’elle répand et qui est d’autant plus fort qu’elle est plus sèche. L’époque de sa floraison a lieu en août, septembre et octobre, et l’endroit où nous l’avons trouvée en plus grande abondance s’appelle Limonsuchitlan (mont ayant la forme de la fleur du limon).

Après trois heures de montée continuelle, le chemin qui mène à Puebla descend dans un ravin dont il côtoie la rive droite pour aller enjamber la crête entre les monts Hielosochitl et Penacho, et prendre le versant oriental en passant par le rancho de Selagallinos. Nous quittâmes ce chemin au fond du ravin même, et remontant sa rive gauche, nous fûmes bientôt transportés sur une espèce de plateau dénudé d’arbres et couvert de zacate jauni. Le sol était criblé de trous profonds creusés par les tusas, dans lesquels les chevaux s’exposent à enfoncer le pied et à se faire des blessures dangereuses. Le plateau fut néanmoins franchi sans accident, et lorsque nous parvînmes à son extrémité, le volcan, dans toute sa crudité, nous salua de sa mine glaciale. Du point où nous étions, situé sur la droite du mont Tonenepango, on voyait le pico del Fraile, dont la base rocheuse se divisait en arêtes séparées par des précipices profonds et ressemblaient à ces racines noueuses au moyen desquelles les vieux chênes se cramponnent à la terre. Elles allaient toutes se perdre dans la vallée d’Amecameca, encaissant dans leurs replis des ruisseaux alimentés par la fonte des neiges. L’une d’elles, courte et haute, venait s’appuyer sur le mont Tonenepango et formait la ligne de faîte (séparation des eaux) entre la vallée d’Amecameca et celle de Puebla. À sa base naissait un ravin qui contournait le mont Tlamacas et courait vers le nord-est. Nous le franchîmes, et grimpant l’épaule escarpée du Tlamacas, nous eûmes bientôt la satisfaction d’entrevoir, parmi les pins, le petit rancho du même nom gisant à nos pieds.

Malgré son exposition à l’est, le rancho de Tlamacas jouit d’une température assez rude. Les arbres y sont clair-semés, noueux et sans vigueur ; leur tronc mince et presque desséché s’abrite sous une enveloppe de mousse

  1. W. Prescott, Hist. de la conquête du Mexique, liv. III, ch. vii.