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sentiers capricieux, profondément taillés dans le sol et se dirigeant à l’aventure sous les arbres de la forêt. Tantôt elle borde un précipice au fond duquel on entend le clapotement d’un torrent qui court sous les buissons ; tantôt elle se jette à travers le flanc de la montagne. Ces zigzags, pour la plupart, sont formés par les troncs abattus que les bœufs traînent jusqu’au point où ils peuvent être chargés sur les trains. À force de passer sur les mêmes lignes, les troncs rabotent le sol et creusent des chemins qui s’approfondissent ensuite sous l’influence des pluies. Partout la végétation était admirable de vigueur. Les senteurs fortifiantes des pins innombrables étaient adoucies par un air frais et vif. Comme région forestière, il est difficile de rencontrer des localités plus riches pour l’exploitation des bois. Malheureusement l’incurie qui préside à l’abatage des arbres, l’absence de tout aménagement font craindre que ces richesses ne s’épuisent dans un temps plus ou moins rapproché.

Nous montions, nous montions toujours. Sur certains points, il fallait mettre pied à terre, car nos bêtes glissaient et nous ne savions pas les retenir dans les endroits rapides ; seul, D. Saturnino poursuivait son chemin sans s’inquiéter des difficultés. Cloué sur une petite bête de peu d’apparence, il grimpait les plans les plus inclinés, rendus glissants par les aiguilles des conifères, avec une insouciance qui me faisait envie. Des échappées à travers le feuillage nous montraient à chaque instant l’horizon agrandi. Nos yeux pouvaient embrasser un panorama qui comprenait jusqu’aux montagnes de Toluca légèrement estompées dans le lointain.

Nous croisâmes dans la journée la route que trois cent trente-huit ans auparavant, avait suivie Cortez dans sa marche de Cholula sur Mexico, et je ne puis résister au désir de reproduire la belle page que l’historien Prescott a consacrée à cet épisode de la vie du Conquistador.

« Les Espagnols défilèrent entre deux des plus hautes montagnes de l’Amérique septentrionale, Popocatepetl, « la montagne qui fume », et Iztaccihuatl, ou « la femme blanche », nom suggéré sans doute par l’éclatant manteau de neige qui s’étend sur sa large surface accidentée. Une superstition puérile des Indiens avait déifié ces montagnes célèbres, et Iztaccihuatl était, à leurs yeux, l’épouse de son voisin plus formidable. Une tradition d’un ordre plus élevé représentait le volcan du nord comme le séjour des méchants chefs, qui, par les tortures qu’ils éprouvaient dans leur prison de feu, occasionnaient ces effroyables mugissements et ces convulsions terribles qui accompagnaient chaque éruption. C’était la fable classique de l’antiquité. Ces légendes superstitieuses avaient environné cette montagne d’une mystérieuse horreur, qui empêchait les naturels d’en tenter l’ascension ; c’était, il est vrai, à ne considérer que les obstacles naturels, une entreprise qui présentait d’immenses difficultés.

« Le grand volcan, c’est ainsi qu’on appelait le Popocatepetl, s’élevait à la hauteur prodigieuse de 17 852 pieds au-dessus du niveau de la mer, c’est-à-dire à plus de 2 000 pieds au-dessus du « monarque des montagnes », la plus haute sommité de l’Europe. Ce mont a rarement, pendant le siècle actuel, donné signe de son origine volcanique, et la « montagne qui fume » a presque perdu son titre à cette appellation. Mais à l’époque de la conquête il était souvent en activité, et il déploya surtout ses fureurs dans le temps que les Espagnols étaient à Tlascala, ce qui fut considéré comme un sinistre présage pour les peuples de l’Anahuac. Sa cime, façonnée en cône régulier par les dépôts des éruptions successives, affectait la forme ordinaire des montagnes volcaniques, lorsqu’elle n’est point altérée par l’affaissement intérieur du cratère. S’élevant dans la région des nuages, avec son enveloppe de neiges éternelles, on l’apercevait au loin de tous les points des vastes plaines de Mexico et de Puebla ; c’était le premier objet que saluât le soleil du matin, le dernier sur lequel s’arrêtaient les rayons du couchant. Cette cime se couronnait alors d’une glorieuse auréole, dont l’éclat contrastait d’une manière frappante avec l’affreux chaos de laves et de scories immédiatement au-dessous, et l’épais et sombre rideau de pins funéraires qui entouraient sa base.

« Le mystère même et les terreurs qui planaient sur le Popocatepetl inspirèrent à quelques cavaliers espagnols, bien dignes de rivaliser avec les héros de roman de leur pays, le désir de tenter l’ascension de cette montagne, tentative dont la mort devait être, au dire des naturels, le résultat inévitable. Cortez les encouragea dans ce dessein, voulant montrer aux Indiens que rien n’était au-dessus de l’audace indomptable de ses compagnons. En conséquence, Diégo Ortaz, un de ses capitaines, accompagné de neuf Espagnols et de plusieurs Tlascalans enhardis par leur exemple, entreprit l’ascension, qui présenta plus de difficultés qu’on ne l’avait supposé.

« La région inférieure de la montagne était couverte par une épaisse forêt qui semblait souvent impénétrable. Cette futaie s’éclaircit cependant à mesure que l’on avançait, dégénérant peu à peu en une végétation rabougrie et de plus en plus rare, qui disparut entièrement lorsqu’on fut parvenu à une élévation d’un peu plus de treize mille pieds. Les Indiens, qui avaient tenu bon jusque-là, effrayés par les bruits souterrains du volcan alors en travail, abandonnèrent tout à coup leurs compagnons. La route escarpée que ceux-ci avaient maintenant à gravir n’offrait qu’une noire surface de sable volcanique vitrifié et de lave, dont les fragments brisés, affectant mille formes fantastiques, opposaient de continuels obstacles à leur progrès. Un énorme rocher, le pico del Fraile (le pic du Moine), qui avait cent cinquante pieds de hauteur perpendiculaire, et qu’on voyait distinctement du pied de la montagne, les obligea à faire un grand détour. Ils arrivèrent bientôt aux limites des neiges perpétuelles, où l’on avait peine à prendre pied sur la glace perfide, où un faux pas pouvait précipiter nos audacieux voyageurs dans les abîmes béants autour d’eux. Pour surcroît d’embarras, la respiration devint si pénible dans ces régions aériennes, que chaque effort était accompagné de douleurs aiguës dans la tête et dans les membres. Ils continuèrent néanmoins d’a-