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se consulter. Rien de plus étrange que de voir ces sauvages se parlant plutôt de l’œil que des lèvres. Les seuls mots qui sortaient de leur bouche n’étaient exprimés que par quelques efforts gutturaux ; du reste, ils paraissaient souvent prendre conseil du blanc qui leur servait d’interprète, ce qui était pour nous de bon augure.

Chaque chef portait un costume particulier. Celui qui nous fut le plus hostile était presque nu ; il n’avait pour tout vêtement qu’une peau d’antilope autour des reins. Son corps, ses bras et ses jambes étaient chamarrés de dessins représentant des serpents rouges et noirs. Il portait aux pieds des sandales ; à son bras gauche pendait un bouclier en cuir de bœuf, couvert, comme le corps, d’ornements rouges et noirs. Dans sa main droite était une lance ; il avait un grand chapeau de paille à la mexicaine.

Beaucoup de questions nous furent adressées ; on voulait surtout savoir quel but nous avait attirés dans ces montagnes. Notre qualité d’Européens paraissait nous être favorable ; aussi nous firent-ils répéter à plusieurs reprises que notre pays était bien au delà du grand lac salé, et que la curiosité seule nous avait conduits vers ces parages.

À chaque réponse, les chefs se consultaient. Après plusieurs heures qui nous parurent des jours, ils conclurent la paix, à la condition que nous sortirions des montagnes, sans chercher à y pénétrer plus avant. Cette condition expresse nous pouvait indiquer que les montagnes renfermaient beaucoup de métaux précieux, car les sauvages ont soin d’éloigner les blancs de tous les gisements, sachant qu’ils y viennent en grand nombre quand ils les ont découverts.

Pendant les longs pourparlers qui précédèrent le traité de paix, les autres Indiens s’étaient insensiblement approchés, et bientôt nous fûmes entourés de tous côtés. Nous pûmes alors les observer. Les femmes et les jeunes filles étaient à cheval ; elles portaient comme les hommes la lance et le bouclier de cuir.

Nous crûmes prudent de donner quelque forme à notre traité de paix. Nous le rédigeâmes en anglais et en espagnol, et nous le donnâmes à l’interprète, pour qu’il le traduisît aux Indiens en les invitant à le sanctionner par une marque quelconque : un double fut signé par nous et échangé.

La paix définitivement conclue, je devins un sujet particulier de curiosité pour les Apaches. Leurs sentinelles, qui avaient examiné tous nos mouvements pendant notre séjour dans ces montagnes, m’avaient vu dessiner, et il fallut leur montrer mon album. Le papier excitait surtout leur étonnement. Plusieurs chefs l’examinaient, le retournaient et paraissaient le convoiter. La pensée me vint d’en offrir une feuille à chaque chef ; ils l’acceptèrent en manifestant une grande satisfaction, mais aussitôt tous les Apaches, femmes et enfants, m’entourèrent en me demandant aussi du papier : j’en distribuai ainsi cinq cents feuilles, ce qui me démontra que nous étions entourés de cinq cents Apaches.

Nous leur donnâmes de la viande, du sucre et d’autres objets ; les femmes nous offraient, à leur tour, du pain de gomme.

Cependant les Apaches ne s’éloignaient pas. Nous demandâmes au grand chef Mangos Colorados qu’il donnât l’ordre de la retraite : son hésitation nous prouva qu’il fallait nous tenir sur nos gardes.

Une préoccupation paraissait les dominer. Ils jetaient continuellement leurs yeux sur nos wagons couverts de toile ; ils supposaient sans doute que nous tenions prisonnières les femmes tombées au pouvoir des soldats de Janos. Nous crûmes devoir les rassurer en découvrant nos wagons : par malheur ils y aperçurent plusieurs objets ramassés sur le champ de bataille, et la paix qui paraissait si bien établie eût été troublée si nous n’eussions restitué tous ces objets.

Nous fûmes libres enfin de sortir la carabine au poing de ce lieu sauvage qui aurait pu être le théâtre d’un affreux massacre.

Arrivés dans les prairies, nous nous regardions les uns les autres, comme étonnés d’avoir échappé à un si grand péril. Nous découvrîmes à distance la grande caravane qui avait été la cause de notre délivrance, et le soir nous l’atteignîmes vers la source de Las Vacas : nous partageâmes avec elle notre second bœuf.


Nouvelle attaque. — Nous sommes prisonniers. — Massacre. — Pitié d’un chef. — La Escondida. — Les mines de San Pedro. — Rencontre d’émigrants français. — Retour.

Nous arrivâmes à Janos sans accident. La population nous entoura de prévenances, et nous ne la quittâmes pas sans regret.

En quittant Janos, on entre dans une vaste prairie remplie de mesquines. À peine éloignée de trois kilomètres du presidio de Janos, notre caravane se débanda, et nous marchâmes dispersés, étant sans méfiance. Tout à coup, les mêmes Apaches qui nous avaient attaqués aux mines de cuivre, débouchent à l’improviste dans toutes les directions et enveloppent nos différents groupes dans les parties touffues des mesquines. En un instant, nous sommes tous désarmés, dépouillés de tous nos vêtements et garrottés.

Un seul de nos compagnons avait encore ses vêtements et ses armes. Il se nommait Édouard Dawis, de New-York, je crois : excellent chasseur dont l’adresse ne nous laissait jamais manquer de viande fraîche. Un pistolet à chaque main, il parlementait avec un des chefs apaches ; sommé par ce chef de rendre ses armes, il ne répond qu’en dirigeant un pistolet sur lui ; le coup rate ; il tire le second pistolet qui rate également. Le pauvre jeune homme n’avait pas vu derrière lui quatre Apaches à cheval qui le percèrent de quatre coups de lance : ce fut le signal du massacre. Nous n’avions plus d’autre perspective que la mort, ou plutôt les tortures.

Les Indiens n’aiment pas à donner une mort immédiate. Pour eux, la torture complète la joie de la victoire, et, de tous les Indiens du Mexique, les Apaches sont les plus cruels. Pendant le supplice de plusieurs de nos compagnons, percés de couteaux, de lances et de