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La pitié me fit tourner les yeux sur ces pauvres prisonnières. Quel fut mon étonnement ! elles me regardaient en riant, et sans manifester la moindre douleur à la vue des chevelures de leurs maris qu’on étalait sous leurs yeux. Nous leur offrîmes des aliments qu’elles mangèrent avec avidité. Cette indifférence me répugnait.

Une sorte de chemise en peau d’antilope leur servait de vêtement ; elles portaient pour chaussures des mocassins. Leurs cheveux étaient tressés. Autour de leur cou s’enroulait un collier composé d’obsidienne, de corail, de jaspe et, à l’extrémité, de petites coquilles aux couleurs d’arc-en-ciel ; mais tous ces ornements ne pouvaient dissimuler leur laideur ou cacher une sorte de gale dont elles étaient presque toutes tachées. On ne pouvait trouver de bien, chez ces femmes, que la petitesse et la beauté des pieds et surtout des mains.

Le capitaine nous raconta les circonstances qui avaient amené cette rencontre avec les Apaches.

Intérieur de la fonderie d’argent de Corralitos.

Le lecteur se rappelle que le chef politique, M. Zuluaga, avait donné au capitaine un des Apaches prisonniers à Corralitos pour lui servir de guide. Cet Apache nourrissait au fond du cœur une haine profonde contre le chef d’une rancheria vers laquelle il conduisit les Mexicains. Après cinq jours de marche le capitaine se trouvait devant la rancheria composée de vingt et un hommes, vingt femmes et plusieurs enfants. Elle occupait le sommet d’un monticule, formant entonnoir. Il était trois heures du matin. La rancheria était plongée dans un profond sommeil. Le capitaine fit cerner le monticule, en recommandant à chaque soldat de viser un ennemi. À son commandement, les Mexicains lâchèrent les détentes, et, sans recharger les fusils, fondirent sur ceux des Apaches qui n’avaient pas été atteints. Un combat à l’arme blanche s’engagea. Le chef n’avait reçu qu’une légère blessure au bras et se défendait courageusement ; le guide, qui avait contre lui une haine particulière, ramassa une lance, fondit sur lui, et le perça de part en part. Quand il le vit mort, il fit entendre, avec une expression de bête féroce, un horrible ricanement.

Sur vingt et un Apaches, dix-neuf furent tués ; deux jeunes gens avaient pu se sauver. Les vingt femmes n’avaient reçu aucune blessure. Une seule résista, c’était la fille du chef. Belle, fière, à peine âgée de dix-huit ans, elle s’empara d’une lance, et se jeta comme une panthère contre les Mexicains, qui ne pouvant la désarmer furent obligés de l’attaquer à coups de pistolet. La noble enfant alla tomber sur le corps de son père ou elle expira.

Plusieurs heures s’étaient écoulée sen conversations, et les Mexicains avaient hâte de retourner au presidio