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Le palais du gouverneur est situé sur le côté nord de la place ; rien ne le distinguerait d’une maison privée sans le poste militaire qui en fait le service.

Autour de la place sont des bancs en pierre de taille. La promenade du soir est très-animée et éclairée par des réverbères où le gaz n’a pas encore fait son apparition : de simples chandelles y entretiennent une lumière douteuse.

Les affaires commencent vers quatre heures du matin et occupent les habitants jusqu’à midi : on dîne, et de midi à quatre heures on fait la sieste ; les magasins sont fermés pendant ce temps, la ville est déserte. Il est vrai qu’il fait bien chaud dans l’après-midi. Les jeunes arbres de la grande place ne donnent qu’un ombrage insuffisant contre l’ardeur du soleil ; les Français appellent cette place « la côte d’Afrique. »

Vers quatre heures du soir, les affaires reprennent de l’activité, les boutiques se rouvrent, la circulation redevient animée, la promenade réunit une grande partie de la population ; puis à la promenade succède le silence de la nuit, qui n’est interrompu que par les serenos (veilleurs de nuit) stationnés à chaque coin de rue. Une lanterne posée à terre dans le milieu de la rue avertit de leur présence. À chaque quart d’heure, ils annoncent l’heure à haute voix, et ce renseignement assez peu nécessaire se répète d’un bout de la ville à l’autre. Le signal part de la place de la Constitution.

Après l’église paroissiale, desservie par le clergé régulier, on peut citer l’église du couvent des Franciscains, desservie par le clergé séculier. On ne compte dans ce couvent qu’un père et deux ou trois frères. Un collége y est adjoint, mais il est très-peu fréquenté. Pendant mon séjour, ses élèves étaient au nombre de huit. Les enfants des riches familles vont soit à Mexico, soit à la villa de Léon, qui possède un petit séminaire. Quant au reste de la population, son indifférence pour l’éducation des enfants est telle que je crois qu’à Chihuahua il n’existe même pas d’école d’instruction primaire.

San-Felipe, avec son couvent des jésuites, est encore un monument assez remarquable. Il devait avoir autant d’importance que l’église paroissiale, mais il est resté inachevé à la suite de l’expulsion des pères qui le possédaient. Le couvent seul a été terminé ; il sert de caserne et d’hôpital : l’église est sans plafond.

Derrière le couvent des jésuites et devant la caserne, on voit la plazuela de San-Felipe. C’est là que les Espagnols exécutèrent les héros de l’indépendance, Hidalgo Allende, Jimenez, etc. Plus tard, conformément à la loi du 19 juillet 1823, on a élevé à la mémoire des victimes une pyramide quadrangulaire sur un piédestal ayant 34 pieds de hauteur.

L’hôtel de la Monnaie (casa de Moneda), situé dans la rue du même nom (calle de la Moneda), qui débouche sur la place de la Constitution, est d’une architecture très-ordinaire ; elle se fait remarquer seulement par ses proportions. Sa construction a coûté vingt-quatre mille piastres. On y frappe de la monnaie d’or, d’argent et de cuivre. D’après les statistiques des livres de la Monnaie sous la domination de l’Espagne, il a été fondu dans l’espace de vingt-quatre années, de 1738 à 1761, à la monnaie de Chihuahua, 3 428 278 marcs d’argent, qui ont produit 28 283 273 piastres et 4 réaux ; ce fut pendant la période où les mines de Santa Eulalia donnaient une grande abondance de riche minerai.

L’administration de la Monnaie est confiée à la direction intelligente de deux Anglais, MM. Poths frères. Des machines à vapeur fonctionnent dans de vastes salles souterraines. Des poulies tournent au moyen de courroies dans toutes les directions et assurent un travail très-rapide et très-économique. Les directeurs ont fait frapper en six mois 206 539 piastres en argent, et la valeur de 6 992 piastres en cuivre. Un de nos dessins (voy. page 132), représente une salle de l’hôtel où sont trois fourneaux. Celui du centre sert à fondre le minerai d’argent. Deux hommes exercent une surveillance permanente sur cette grande cuve ; quand le métal est liquéfié, on l’y puise avec une grande cuillère à quatre anses qui permettent à deux hommes de la transporter sans danger sur une bascule. Cette dernière roule sur quatre petites roues ; on la pousse auprès du fourneau que l’on voit au fond à gauche ; on renverse le contenu liquide dans les chaudières ou creusets de ce second fourneau, et c’est ainsi que s’opère la séparation des métaux.

Le mineur, avant de porter son métal à la Monnaie, fait fondre le minerai d’argent lui-même et cherche autant que possible à en extraire l’or ; mais comme les fourneaux des mineurs laissent beaucoup à désirer, l’argent qu’on apporte en barre à la Monnaie renferme encore de l’or, et malgré ces différentes opérations, quand cet argent vient en Europe, soit à Londres, soit à Paris, et qu’il est de nouveau manipulé, il produit encore assez d’or pour payer les frais de la dernière opération.

La casa de Moneda de la capitale n’est pas la seule de l’État ; Hidalgo en possède une autre aussi riche que celle de Chihuahua.

Les métaux précieux étaient la seule industrie de ce pays avant l’indépendance. Depuis les guerres de la révolution de 1810, 1811 et 1812, et depuis surtout l’invasion des Indiens sauvages, une partie des mines a été abandonnée ; les populations se portent de préférence vers les centres et cherchent à s’y créer de nouvelles ressources. On a entrepris de tanner le cuir, branche de première nécessité, les vêtements étant en grande partie de peau pour les personnes pauvres. On travaille la laine pour faire les sarapés. La fabrication des chapeaux a aussi une certaine importance.


Combats de taureaux. — Combats de coqs. — Un journal officiel. — Les courriers.

Un vaste cirque est destiné aux combats des taureaux. L’usage de ces combats introduit par les Espagnols, et qui en Europe paraît barbare et peu digne d’une nation civilisée, a dans ce pays-là pourtant un but pratique. C’est le moyen d’habituer les paysans à dompter