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d’eux n’avait de cicatrice à la lèvre intérieure. Leurs oreilles n’étaient pas percées. Ils laissent croître et flotter librement leurs cheveux sans les attacher. Quelques-uns cependant les coupent carrément sur le front : cette coutume existe même chez certaines femmes.

La couleur de la peau, moins foncée que celle des Lenguas, est d’un brun olive, sans reflets jaunâtres : au reste, j’avoue qu’il est très-difficile d’exprimer ces nuances si variées de coloration.

Rien ne pouvait distraire les hommes de leur taciturnité ; à toutes nos questions leur physionomie restait impassible, froide et sérieuse. Quelques voyageurs accordent aux femmes encore jeunes un sourire gracieux, une figure intéressante ; mais leurs traits se déforment de bonne heure, et, comme les hommes, elles deviennent d’une laideur repoussante. En même temps, le sein d’un volume normal, d’abord bien placé, s’allonge au point de leur permettre d’allaiter leurs enfants qu’elles portent derrière le dos.

Ainsi réunie aux Mbocobis, la nation toba occupe, ou plus exactement parcourt une étendue considérable des plaines du Chaco. On la rencontre sur les bords du Pilcomayo, depuis son embouchure jusqu’au pied des premiers contre-forts des Andes, où elle est en contact et souvent en guerre avec les Chiriguanos.

Généralement nomades, les Tobas sont pêcheurs et chasseurs. Pour armes, ils ont des bolas, des flèches, des makanas et de longues lances armées de pointes de fer. Quelques-unes de leurs tribus, plus sédentaires, ajoutent les produits de l’agriculture à ceux de la chasse ; elles cultivent le maïs, le manioc et les patates.

Les enfants des deux sexes vont nus ; les hommes et les femmes portent une pièce d’étoffe enroulée autour des reins, ou se drapent dans un manteau fait de la dépouille des animaux sauvages. Les femmes ont pour ornements des colliers et des bracelets de perles de verre ou de petits coquillages ; et dans certaines tribus, les hommes s’entourent le corps de longs chapelets blancs, composés de petits fragments de coquilles arrondis en forme de boutons, et enfilés de manière à conserver une position uniforme.

Oreille de Lenguas.

La circonstance à laquelle nous avons dû de retrouver à l’Assomption ces hordes indomptables, laisse assez pressentir ce qu’il nous reste à dire de leurs mœurs et de leurs habitudes. Les Tobas, fiers, jaloux de leur liberté, ont de tout temps montré des dispositions hostiles aux créoles et n’ont cessé d’inquiéter leurs établissements, tantôt en les attaquant à force ouverte, tantôt en pillant leurs troupeaux. Les villes de Corrientes et de Santa-Fé, cette dernière surtout, eurent beaucoup à souffrir de leurs déprédations. Les Santafécinos, aidés par les gouverneurs des provinces voisines, ont à plusieurs reprises dirigé contre leurs ennemis implacables de coûteuses et sanglantes expéditions. Cette lutte entre la barbarie et la civilisation continue de nos jours plus ardente que jamais. Un voyageur raconte que les Indiens ont fait sur les rives du Salado, du mois d’avril 1854 au mois d’août 1855, six invasions qui ont coûté à la province de Santiago cent treize habitants emmenés comme captifs ou assassinés sur place. Nulle sécurité pour les habitations éparses ni même pour les villes. Ces hordes pillardes, qui savent doubler les forces et la vitesse du cheval, traversent comme une avalanche d’immenses déserts, et tombent tout à coup sur de pauvres familles, presque folles de frayeur et sans défense. Qu’on suppose ces Indiens pourvus quelque jour d’armes à feu, et ils viendront impunis asseoir leurs tentes sur les ruines des cités. En attendant que le croisement des races les fasse entrer, modifiés et adoucis, dans la grande famille humaine, l’imminence du péril oblige à des mesures énergiques d’extermination dont l’intéressant récit nous entraînerait trop loin.

Machicuys. — Tout en admettant une identité presque complète entre les Tobas et les Mbocobis, nous faisons nos réserves jusqu’à plus ample informé à l’égard des Machicuys, que M. d’Orbigny regarde comme une tribu des Mbocobis et des Tobas dont ils parleraient la langue. L’étude spéciale que nous avons faite ne nous permet pas de partager cette manière de voir.

À côté des différences de langage, nous en trouvons d’autres. Ainsi, plus sédentaires, agriculteurs, doués de mœurs moins farouches, les Machicuys se rapprochent des Lenguas par les dimensions extraordinaires du lobule des oreilles, par leurs armes et la manière de combattre. Azara dit qu’ils s’en éloignent par la forme de leur barbote, lequel ressemblerait à celui des Charruas. Nous répéterons ici l’observation que nous avons faite précédemment : aucun des Machicuys que nous avons vus ne présentait la cicatrice de l’ouverture destinée à recevoir ce sauvage ornement qu’ils abandonnent, à l’exemple encore des Botocudos du Brésil, tandis que certaines peuplades de l’ancien continent le conservent religieusement. C’est ainsi que les Berry, nation noire des bords du Saubat, affluent de la rive droite du Nil, se percent