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tiquent des succions avec la bouche sur les plaies et les endroits douloureux. Ils entremêlent cette opération de jongleries et de chants accompagnés avec des calebasses (porongos) qu’ils secouent aux oreilles du malade. Ces porongos remplis de petites pierres, font un bruit assourdissant. Les payes sont en même temps sorciers, prédisent les événements, et lisent dans l’avenir.

Quelques femmes (la coutume n’est pas générale) se tatouent d’une manière indélébile à l’époque de la puberté, qui toujours est marquée par une fête. Cette fête consiste dans une réunion de famille, où les hommes s’enivrent avec de l’eau-de-vie s’ils ont pu s’en procurer par échange, ou avec la liqueur fermentée (chicha) qu’ils tirent des fruits de l’algarobo.

Le tatouage des femmes consiste en quatre raies bleues, étroites et parallèles, qui tombent du haut du front sur le nez qu’elles suivent jusqu’à l’extrémité, sans continuer sur la lèvre supérieure, et en anneaux irréguliers, dessinés sur les côtés du front jusqu’aux tempes exclusivement, sur les joues et le menton.

Les deux sexes se percent les oreilles dès l’âge le plus tendre, et y passent un morceau de bois dont ils augmentent sans cesse le diamètre, de telle sorte que vers l’âge de quarante ans, ce trou offre d’énormes dimensions. J’en ai mesuré plusieurs, et j’ai trouvé pour moyenne, dans le sens longitudinal, six centimètres. Le diamètre antéro-postérieur était un peu moins considérable. Ces morceaux de bois, pleins, sont irrégulièrement arrondis, et m’ont présenté, dans leur plus grand diamètre, jusqu’à quatre centimètres et demi. Souvent aussi les Lenguas les remplacent par un long morceau d’écorce d’arbre roulé en spirale comme un ressort de pendule. Quelle que soit sa nature, ce morceau de bois se nomme ilaskê.

Les Lenguas se peignent les cheveux, qu’ils coupent sur le haut du front, et font une mèche, qui du milieu de la tête va rejoindre en passant au-dessus de l’oreille gauche, la masse réunie et attachée derrière la tête, avec un ruban ou une corde de laine. Ces cheveux toujours noirs, droits et généralement longs et très-fins, soyeux même, sont donc tombants entre les deux épaules. Les femmes ne réunissent pas ainsi leur chevelure tous les jours. J’en ai vu plusieurs qui la laissaient flotter. Au reste, s’ils se peignent quelquefois, on ne peut pas dire que les Lenguas aient soin de leurs cheveux ; leur extrême malpropreté s’y oppose. Il est en effet impossible de rien voir de plus sale que cette nation, si semblable en cela aux autres.

Les Lenguas ont pour armes un arc et des flèches qu’ils portent derrière le dos serrées dans un cuir. Ils ont aussi une hache qu’ils appellent achagy, et qu’ils portent de la même manière. Ils tiennent à la main une makana, bâton fait de bois dur et pesant. À cela ils ajoutent encore une lance garnie de fer, et quelques-uns les bolas et le lazo. Ils sont excellents cavaliers, montent à poil, avec leur femme et leurs enfants, plusieurs sur le même cheval, et ils montent à droite, les femmes comme les hommes. Ils n’ont pas de mors et se contentent d’un morceau de bois : ils font des rênes avec des fils de caraguata.

Leur couleur brun olivâtre, plus foncée que celle des Tobas, des pommettes saillantes, leurs petits yeux, une face large, aplatie, leur nez ouvert, un peu écrasé, leur large bouche, de grosses lèvres, donnent à la physionomie de ces sauvages un aspect singulier, auquel ne contribue pas médiocrement une paire d’oreilles tombant jusqu’à la base du cou, et chez quelques individus jusqu’aux clavicules. Les Lenguas, comme tous les Indiens. deviennent hideux en vieillissant.

Quelques semaines s’étaient écoulées depuis mon excursion sur ce point, et je rentrais à l’Assomption après un nouveau voyage dans l’intérieur du pays, lorsque j’appris que le Quartel avait été l’objet d’une agression tout à fait imprévue de la part des tribus du Chaco, et qu’à la suite d’un engagement dans lequel deux Indiens avaient trouvé la mort, les soldats avaient pu reprendre le bétail dérobé, et faire des prisonniers, aussitôt dirigés sur la capitale, et confiés à la garde de la troupe dans la caserne de cavalerie située près de l’arsenal et du port. L’occasion était on ne peut plus favorable pour continuer mes études ethnographiques et les compléter : dès le lendemain j’accourais à la caserne.

Je trouvai, en arrivant, une douzaine d’Indiens chargés de fers (grillos), et assis çà et là au milieu d’une cour étroite. Couverts de sordides vêtements européens, de ponchos en guenilles, ou drapés à l’antique dans de mauvaises couvertures, les prisonniers, parmi lesquels figuraient deux enfants, l’un de huit ans, l’autre de quinze, paraissaient tristes et abattus. Ils gardaient un silence profond, dont j’eus quelque peine à les tirer.

À côté des Lenguas que j’avais vus au Quartel, il y avait des Tobas et des Machicuys ; mais quoique connu des premiers, ce fut en vain que mon interprète les questionna sur le motif de leur agression.

Nation toba. — Les Tobas nommés par les Énimagas et les Lenguas, Natocoet et Yucanabacté, et Guanlang dans la langue mataguaya, sont d’une taille généralement élevée et bien prise. J’en ai mesuré trois, et j’ai trouvé un mètre quatre-vingt-un centimètres, un mètre soixante-dix-sept centimètres, et un mètre soixante-onze centimètres. Leur système musculaire est développé, et leurs membres, bien conformés, se terminent, comme chez toutes les nations du Chaco, par des mains et des pieds à faire envie à des Européennes.

Ils ont un front ordinaire, non fuyant ; des yeux vifs, plus grands que ceux des Lenguas, et surmontés de sourcils minces et peu fournis : l’iris est noir. Ils ne s’arrachent pas les cils. Leur nez, régulier, allongé, s’arrondit à son extrémité en s’élargissant un peu. La bouche légèrement relevée aux angles, mieux proportionnée et moins largement fendue que celle des Lenguas, est garnie de belles dents qu’ils conservent dans un âge fort avancé. Ils n’ont pas non plus les pommettes saillantes et la face aussi large.

Les Tobas paraissent avoir renoncé à l’usage du barbote qu’ils portaient encore au temps d’Azara : aucun