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Quand vous arrêtez votre passage, on vous remet la cabine nue et entièrement peinte à neuf ; à vous de vous meubler comme vous l’entendez. Si vous prenez une cabine entière, le prix variera de cent à cent vingt livres sterling, selon que vous serez plus ou moins éloigné de la poupe. Si vous prenez une demi-cabine, il sera de soixante à quatre-vingts livres. Les cabines de poupe sont d’un prix très-élevé ; comme elles sont très-grandes, elles sont ordinairement prises par des familles. Là vous avez trois fenêtres, une petite salle de bain pour vous seul, et de la place pour bien des meubles.

La table est aussi bonne que possible pour les passagers de cabines. Nous avions à bord, en partant, cent quarante moutons, quarante porcs, et au moins deux cent cinquante volailles. Nous ne risquions donc pas de manquer de viande fraiche. L’ordre le plus parfait règne sur ces navires, malgré tout ce qu’on a écrit sur les vaisseaux d’émigrants. Pour mon compte, je puis assurer que pendant mes deux traversées (ayant passé en mer cent soixante-quatorze jours), je n’ai pas vu un seul cas d’ivresse. Du reste, pour vous donner une idée de la discipline observée sur le Marlborough,’qu’il me suffise de vous dire qu’il n’était pas permis de fumer aux premières, même sur le pont, que balayait le grand vent de l’océan.

Vous voyez que la vie matérielle est très-supportable. Quant à la vie intellectuelle, elle sera pour chacun selon son goût et dépendra beaucoup de la société du navire.

Notre société, à bord du Marlborough, était agréablement composée ; je comptais trois de mes compatriotes parmi les passagers de première classe. Pendant le jour, nous jouions au palet pour nous exercer ; le soir, on formait des tables de whist. J’apprenais l’anglais avec un aimable lieutenant de la marine royale, malade de la poitrine, et que les médecins avaient envoyé passer un ou deux ans sous le doux et salubre climat d’Australie. Nous avions à bord un amateur de musique (possesseur d’une basse), qui nous faisait apprendre des chœurs que nous chantions le soir sur le pont… Bref, le temps se passait fort agréablement.

Australie du Sud. — Le port de Melbourne, dans la province de Victoria. — Dessin de E. de Bérard d’après une photographie.


Arrivée du Marlborough à Melbourne.

Peu de passagers dormirent à bord du Marlborough, pendant la nuit qui s’écoula entre le soixante-dix-huitième et le soixante-dix-neuvième jour de notre traversée. Depuis deux jours on n’avait pas pu prendre d’observations, car le temps était mauvais et le ciel chargé d’épais nuages ; cependant, nous savions que nous étions prèsde terre et que nous devions être à peu de distance de l’entrée de la baie, terme de notre long voyage.

À trois heures du matin, tout le monde était sur le pont. Le vent était favorable, mais très-fort, et toutes nos voiles étaient carguées, excepté la grande voile et celle de misaine. Quand le jour parut, nous pûmes découvrir environ à dix milles en avant, et sur notre droite, la côte d’Australie, nue et déchirée comme toutes les côtes qui sont battues par les grandes vagues.

Quand, après une traversée de soixante-dix-neuf jours, on aperçoit des arbres et des prairies, la joie que l’on éprouve ressemble assez à celle de l’aveugle qui vient d’être heureusement opéré. Aussi, nous ne pouvions nous lasser de considérer les rivages de Victoria éclairés par le soleil qui, pour saluer notre arrivée, commençait à percer les nuages. La baie de Port-Philipp varie de quinze à soixante milles de largeur, sa profondeur est de quarante milles ; nous longions une côte boisée qui me rappelait les montagnes de Provence, couvertes d’oliviers et de chênes verts. C’étaient les mêmes teintes, la même monotonie où l’œil se repose sur des couleurs si douces et si faciles à saisir qu’elles semblent faites pour le peintre. Ces collines boisées arrivaient jusqu’à la mer, dont elles étaient séparées par une blanche ligne de sable. Pendant qu’à l’aide de nos lunettes d’approche nous cherchions à découvrir des habitations dans les espaces