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kha d’Ijil jusque vis-à-vis les îles qui se trouvent dans le nord de la rivière Saint-Jean. On n’y voit que du sable rougeâtre au milieu duquel pousse une herbe que les Maures nomment sbat ; elle a un épi analogue à celui de la folle avoine ; les pousses latérales à la tige sont filamenteuses ; on en fait d’excellentes cordes et des plumes à écrire ; le grain, quand il est mûr, sert à faire un sanglé préférable à celui du miel, disent les Maures ; enfin, les racines de cette herbe, d’une ténuité extrême, s’étendant comme d’immenses bras, vont, souvent à plus de cinquante mètres, produire de nouvelles touffes dans lesquelles se réfugient les petites vipères cornues dont ce pays fourmille. Nous aperçûmes aussi, mais de très-loin, quelques-uns de ces bubales que les Maures qualifient de bœufs sauvages.

Au bout de quelques jours de route, le vieux Lab, qui s’était bien comporté jusque-là, me fait demander cinq pièces de guinée, des balles, de la poudre, du tabac, de beaux effets, etc. ; je refuse catégoriquement, et je fais faire halte à cause de la chaleur. Lab a endoctriné les jeunes gens qui sont avec lui, et même Ely-Chaudora, qui s’est conduit en véritable enfant. J’essaye en vain de faire comprendre raison au vieux guerrier, il est entêté et méchant ; il a dépouillé le masque d’hypocrisie ; nous sommes loin des puits et presque à sa discrétion. Je lui offre ensuite deux pièces de guinée comme rémunération de ses services ; il refuse, les affaires s’enveniment. Au moment où nous placions sur une de nos montures notre provision de viande, Lab veut s’en emparer et l’arracher des mains de mon spahi. C’en était trop, un frisson électrique me parcourt le corps ; je m’élance sur Lab, et je lui fais comprendre, en lui montrant mon revolver, que s’il ne cède pas immédiatement, je lui brise la tête ; il a la lâcheté de l’assassin et recule. Nous partons sans guide. Après une heure de marche, nous sommes rejoints par Lab vociférant et réclamant le prix du sang que j’aurais pu verser si j’avais donné suite à mes menaces. Comme dans cette nouvelle prétention le ridicule égalait au moins l’odieux, je n’y répondis qu’en riant gorge déployée. Voyant l’inutilité de ses tentatives il finit par se radoucir et me faire une foule de protestations de dévouement.

Camp des Maures. — Dessin de Jules Noël d’après Nouveaux.

Enfin le 27, après quelques nouveaux essais d’avanies tant de sa part que de celle du jeune Ely-Chaudora, qui tenait très-peu à respecter l’hôte de son père, nous atteignîmes le camp d’Ould-Aïda à quatre heures, ayant parcouru depuis Tiourourt près de neuf cents kilomètres en vingt-huit jours.

À peine arrivés nous sommes prévenus que le camp doit se transporter ailleurs. Effectivement le lendemain, toute la smala, bêtes et gens, se met en marche à l’heure prescrite. Elle est composée d’environ trois cents chameaux porteurs, d’immenses troupeaux marchant derrière, et d’une trentaine de chevaux montés par les personnages les plus marquants. Le cheikh lui-même est en tête, sur son cheval favori ; une cinquantaine de guerriers montés sur des chameaux forment sa suite. À une certaine distance en arrière viennent les femmes, dont les palanquins richement ornés sont recouverts de kissas rouges et blanches du Maroc ; comme les femmes trar-