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communes aux noirs et du désir de chaque chef de me retenir chez lui pour m’exploiter autant et aussi longtemps que possible, je m’éloignai avec confiance.

La route, à partir de Kholobo, traverse une contrée montagneuse ; le fer s’y montre constamment, et plusieurs marigots, dont la végétation contraste avec la nudité des collines qu’ils contournent, répandent l’eau et la fécondité dans tous les bas-fonds. Les bambous se rencontrent à chaque pas, et l’or devient plus abondant, au dire des gens du pays, à mesure qu’on se rapproche du Tamba-Oura.

Avant d’arriver à Kofoulabe je rencontrai sur ma droite deux puits de mine de six mètres environ de profondeur, sur trois de diamètre à l’orifice. Abandonnés depuis longtemps, les ronces et les épines en avaient envahi les bords et ne permettaient pas d’y descendre. Ils me rappelèrent ceux que Mungo-Park avait vus dans le même pays cinquante-quatre ans auparavant[1].

Dialafara est bâti au pied du Tamba-Oura, au fond d’une plaine qui s’étend tout le long de la chaîne. La montagne y forme un vaste rentrant en arc de cercle, à gauche coule un marigot, à droite se trouve le village. C’est un des points les plus importants du Bambouk ; il se trouve placé sur la route qui traverse le pays dans sa longueur et c’est le premier grand village que rencontrent les caravanes qui suivent cette route pour se rendre au Sénégal. Enfin il est peu éloigné de Kholobo, un des plus grands centres de la Falémé.

La chaîne du Tamba-Oura est un système de montagnes, à crête continue, qui paraît avoir été coupée dans sa longueur par un plan vertical et dont la partie antérieure, s’est éboulée. La pente du talus ainsi formé est au moins dans le rapport de trois de hauteur pour deux de base, et la montagne est généralement inaccessible. Tous les cours d’eau qui arrosent le pays jusqu’à la Falémé descendent du Tamba-Oura, qui cependant n’a point de source vive : les eaux de pluie donnent naissance à ces marigots qui se tarissent presque complétement à l’époque des sécheresses ; tous charrient de l’or, enrichissant le Bambouk des sables et de la terre que les eaux de l’hivernage arrachent aux pentes dirigées vers la Falémé.

Contre mon attente, je fus bien reçu à Dialafara, village très-grand, très-peuplé et ne paraissant plus se ressentir du passage des Talibas. La conduite du chef fut loin de justifier les appréhensions qu’auraient pu me faire concevoir les fausses indications que j’avais reçues. Comme je m’étais établi en dehors du village, il vint à moi solennellement et déploya à mon intention la plus grande pompe possible. Il était accompagné de toute sa famille, de ses griots et de ses hommes d’armes, suivant l’habitude. Ma venue, me disait-il, était d’un bon augure pour le pays, il ne doutait pas que bientôt nous ne fussions établis à Dialafara comme nous le sommes à Kéniéba, et quant à lui il était dévoué au chef des blancs du Sénégal dont il connaissait la renommée. Il se retira ensuite et m’envoya du lait et du riz, en s’excusant sur sa pauvreté qui ne lui permettait pas de m’offrir une hospitalité plus digne de lui et de moi.

Le 1er  janvier 1860, je traversai successivement Boubou, Graïa, Khann, Monia et Galadhio. L’agglomération des villages dans cette partie du Tamba-Oura indique assez la richesse du sol, et en effet, tous se livrent à l’exploitation de l’or. La chaîne offre toujours le même aspect ; elle présente sur deux ou trois étages de véritables murailles aux arêtes vives, imitant parfois les ruines d’un fort avec ses bastions et ses courtines, d’autres fois les débris d’un temple aux colonnes renversées et brisées. Certains passages du Tamba-Oura inspireraient également le peintre et l’écrivain : la majesté imposante des montagnes, leur aspect désolé, les aboiements des cynocéphales qui habitent les anfractuosités de leurs rochers, produisent sur l’esprit la plus vive impression.

Le 2 janvier, j’étais à Séré-Khoto, village épargné par Al-Hadji ; ses habitants sont nombreux, mais ont une réputation de pillards que le chef confirma en m’engageant à me tenir sur mes gardes ; d’après lui, je ne devais pas manquer d’être dévalisé pendant la nuit. Aussi fit-il publier dans son village que quiconque s’approcherait de mon bivac y serait reçu à coups de fusil. Cette précaution eut son effet, et la nuit se passa sans accident.

Séré-Khoto est situé dans un carrefour, à l’intersection de toutes les routes de Bambouk, à vingt-cinq lieues de Kéniéba, et au centre des points les plus renommés pour la richesse de leurs dépôts aurifères, principalement Nétékho et Khakhadian, dans le voisinage desquels existent, dit-on, les ruines d’un ancien établissement européen, qu’on croit pouvoir attribuer aux Portugais.

Je passai ma soirée à prendre des renseignements sur ma nouvelle route, auprès de Barka, frère de Sémounou, le roi de Natiaga, lequel, absent de son pays depuis longtemps, attendait un moment propice pour y rentrer : il s’offrit à me le faire traverser et à me conduire jusqu’à Gouïna. Le lendemain il vint en effet accompagné d’un serviteur, et nous nous mîmes en route.

Le 3 janvier, à six heures, nous traversions le défilé de Kouroudaba (porte des roches), seul passage qui coupe le Tamba-Oura pour mener dans le Natiaga : large d’environ quarante mètres, il s’ouvre de l’ouest à l’est ; ses flancs sont semblables à des murailles construites de main d’homme ; les étages supérieurs surplombent les premiers, et les blocs de roches qui se sont détachés encombrent le fond de la gorge et la rendent peu praticable.

Je mis deux jours à traverser le Natiaga où je ne rencontrai pas un village habité. Le sol ici n’est plus, comme

  1. Mungo-Park, à son second voyage, en 1805, venant des bords de la Gambie par le Woulli, le Tenda et le Dentita, passa la Falémé dans les environs de Kholobo ; puis, continuant sa route vers l’est et laissant à sa droite les montagnes du Kounkadougou, il traversa la chaîne aurifère du Tamba-Oura, et franchit le Ba-fing et le Ba-khoï à une vingtaine de¿ lieues de leur confluent. S’étant mis en route à une époque trop avancée de l’année, et en proie à toutes les misères de la saison des pluies tropicales, ce grand voyageur était dès lors dans une situation déplorable, et voyait chaque jour quelques-uns de ses compagnons mourir autour de lui.