dont l’une est à l’extrémité d’un effroyable précipice, y donnent accès. C’est ce château qu’Albert d’Aix appelle le château de Butrente, et au pied duquel défila l’armée des croisés qui se rendait à Antioche en passant par la Cilicie.
La vallée de Besanti est bordée de droite et de gauche par de hautes montagnes et d’énormes masses de rochers qui descendent bien avant dans la vallée et atteignent sur divers points une élévation telle, qu’elles masquent les sommets de la chaîne de Boulghar-Dagh. Quand on est arrivé à son extrême limite, on pénètre dans une gorge où coule le Sarus, fleuve qui passe à Adana et se jette à la mer à douze heures de cette ville. Nous passâmes la nuit au milieu des ruines du château, et le jour suivant nous continuâmes de marcher vers le nord. Nous demandâmes l’hospitalité au pont d’Ak-keupri (pont Blanc), formé d’une seule arche, construit en arête et qui sert de limites aux deux pachaliks de Césarée de Cappadoce et d’Adana de Cilicie. Une petite cabane habitée par deux douaniers sert à la fois d’auberge et de douane. Les zaptiés de garde nous offrirent d’excellentes truites qu’ils avaient pêchées dans le fleuve et nous invitèrent à passer la nuit dans leur poste.
Nous quittons la douane d’Ak-keupri de grand matin, et nous retournons sur nos pas en suivant la voie romaine qui, passant par les portes de Cilicie, mène à Adana, ou nous fîmes séjour. Le pacha m’offrit son palais, mais je préférai accepter l’hospitalité de l’évêque arménien, qui était moins onéreuse. Dès que le pacha d’Adana eut appris que je devais de nouveau me mettre en route, il donna des ordres pour que mon escorte fût doublée ; ce qui porta à vingt le nombre des zaptiés avec lesquels je devais parcourir toute la région montagneuse qui s’étend au nord de Tarse, d’Adana et de Missis.
Le 20 décembre, de grand matin, la caravane se mit en marche pour éviter la chaleur qui, pendant la fin de décembre, est quelquefois insupportable dans la vaste plaine qui sépare Adana du Taurus.
Nous devions traverser plusieurs campements de ces Turkomans, Tourouks, qui, aux approches de l’hiver, descendent des hauteurs pour camper dans la plaine d’Adana, désignée sous le nom de Thuckur-Owa (plaines basses). Le soir, nous vînmes camper chez les Sarkanteli-Oglou, dont le chef, Arslan-aga, nous offrit l’hospitalité.
Quand nous eûmes pris un repos nécessaire et acheté les provisions qui nous étaient indispensables pour continuer la route, l’aga des Sarkanteli nous accompagna chez celui des Kara-Hadjélou, dont les tentes étaient dressées non loin de Sis, que je désirais visiter. Mourazabey, ayant chargé son fils de guider notre caravane, je donnai l’ordre à une partie de l’escorte de m’attendre chez l’aga turkoman, afin de ne pas entrer au monastère patriarcal arménien de Sis avec un déploiement de forces inutiles. Il fut convenu que Méhémet-bey, fils de Mouraza-bey, et deux cavaliers seulement, m’accompagneraient au monastère. J’avais pour le patriarche arménien des lettres d’introduction ; mais j’appris depuis que la meilleure recommandation dont j’étais muni, était l’ordre que Mouraza-bey donnait à son fils de me faire bien traiter au couvent et d’obtenir du patriarche que l’on me ferait voir la bibliothèque et le trésor de l’église.
À trois heures de la maison que Mouraza-bey s’est fait construire au pied du Taurus, nous passâmes une petite rivière à gué, et en remontant son cours à l’est, nous atteignîmes bientôt les rochers sur lesquels s’élèvent les maisons de la ville de Sis. Cette pauvre bourgade était au moyen âge la capitale des rois arméniens de la Cilicie, qui y avaient construit des églises et élevé des palais et des forteresses.
Les maisons de Sis sont à terrasses, mais étagées de telle sorte que les terrasses d’un rang de maisons servent de rue au rang qui le domine. Le couvent arménien est bâti au nord et au sommet de la ville. C’est un ramassis de constructions de tout genre, entassées pêle-mêle et sans harmonie. Le château couronne le sommet de Sis.
Dès que notre arrivée fut signalée, un des dignitaires du monastère vint à notre rencontre, et après avoir baisé en signe de soumission l’étrier du jeune bey qui m’accompagnait, il prit son cheval par la bride et nous conduisit par une série de petites ruelles tortueuses jusqu’à la porte basse qui conduit dans l’intérieur du couvent.
Une collation avait été préparée chez le patriarche à notre intention. Le vénérable prélat était assis sur un divan dans une salle à peine éclairée ; il était entouré de quelques religieux agenouillés sur les coussins de son divan ; de temps en temps il aspirait nonchalamment la fumée d’un long tchibouk. Il portait une longue robe brune garnie de fourrures usée et rapiécée ; un turban bleu lui ceignait la tête et sa longue barbe blanche qu’il caressait complaisamment lui couvrait toute la poitrine. Après nous avoir bénis, Sa Sainteté Mikaël II donna l’ordre d’apporter la collation que des moines nous servirent sur de larges plateaux d’étain. Le patriarche s’informa pendant le repas du but de ma visite et m’invita à rester dans le couvent tout le temps que mes affaires m’y retiendraient.
On me fit dresser un lit dans une grande pièce qu’on appelait la salle du Divan ou du Chapitre, dont les fenêtres s’ouvraient à tous les vents. Du papier huilé et renouvelé à notre intention servait de vitres. Je demeurai plusieurs jours afin d’étudier les manuscrits de la bibliothèque et de visiter le trésor du monastère. On conserve dans une salle attenant à l’église paroissiale qui fait partie des constructions du patriarcat, les dextres de saint Grégoire l’Illuminateur, premier apôtre de l’Arménie, de saint Nicolas, de saint Sylvestre, et le bras de l’ermite Bassano. Ils sont renfermés dans des bras d’argent dont l’index est orné d’une bague d’or