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Quarante-deux ans avant moi, un de nos compatriotes, M. Mollien, poussé par la passion des voyages et sans autre appui que son ardeur juvénile, pénétrait dans les anfractuosités de ce grand réservoir des eaux sénégambiennes, les révélait à l’Europe savante, et ouvrait ainsi l’ère des découvertes qui n’ont cessé depuis lors de modifier l’orographie de l’Afrique et surtout le système des eaux de ce continent. Les erreurs que ne put éviter M. Mollien, et les défectuosités de son itinéraire, sont peu de chose auprès de celles qu’il fit disparaître des cartes-existantes. Elles s’expliquent autant par la pénurie d’instruments et de ressources à laquelle il était condamné, que par le mystère dont il devait entourer ses pas et ses démarches au milieu d’une population méfiante qui, plus d’une fois, chercha à le faire périr pour s’emparer de ses marchandises et surtout de ses journaux.

Vue de la rivière Falémé. — Dessin de Sabatier d’après M. Lambert.

Je ne doute pas que son souvenir ne soit encore vivant dans plus d’un ravin de ces montagnes. Un jour, à l’improviste, un vieillard des environs de Labé me parla d’un jeune Français dont l’apparition aux temps de son enfance, à lui, avait troublé le cœur des femmes et du peuple et éveillé les soupçons des chefs et des marabouts. Je regretterai toujours que la mort récente de M. Mollien m’ait privé du plaisir que j’aurais eu à lui transmettre ce témoignage lointain des actes et des souffrances de sa jeunesse.

La route du retour ne fut guère moins pénible pour moi qu’elle ne l’avait été pour mon prédécesseur ; les longues marches sous un soleil brûlant ou sous des torrents d’eau, avec la fièvre dans les veines, les traversées de rivières grossies par les pluies et de déserts sans abri et sans nourriture, les attaques de brigands armés et les horreurs de la famine subies pendant de longs jours, toutes les misères enfin qu’essuya M. Mollien entre le Rio-Grande et Géba, m’attendaient sur les bords de la Gambie, dans les marches sauvages qui séparent le Fouta-Djalon du Bondou. Dans ce dernier royaume, notre allié, presque notre vassal, mais qui saigne encore, à ce titre, des plaies que lui a faites Al-Hadji, je serais mort de faim et de fatigue, avec tous mes compagnons, si le commandant de Sénoudébou, averti à temps, n’eût envoyé à notre secours des hommes et des provisions. À Sénoudébou je retrouvai le drapeau et la terre de France.

Lambert.