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devant moi qu’un solliciteur adroit comme il y en a tant en Afrique… et ailleurs. Je me hâtai de lui dire que je n’avais rien à lui offrir en échange de ses politesses. Je faisais injure au brave Ndiogo.

« Ta visite, répliqua-t-il avec un tact parfait, est ce que je pouvais désirer de mieux. Tu es l’hôte de l’almamy, et par conséquent notre hôte à tous. Tu es venu ici pour notre bien et ton voyage nous rapportera un jour plus d’avantages que tu n’aurais pu porter de marchandises avec toi. » Il finit par me prier de vouloir bien accepter un bœuf gras comme échantillon de ses troupeaux. À dater de ce moment il y eut entre Ndiogo et moi une amitié qui ne s’est jamais démentie.


Présentation et discours solennels. — Arrivée à Sokotoro. — Description de ce lieu. — Bienveillance d’Oumar. — Histoire de son peuple et de sa dynastie.

À quelques jours de là je fus officiellement présenté par l’almamy à ce qu’on pourrait appeler le sénat du Fouta-Djalon. Mandé par Oumar, je trouvai chez lui les anciens et notables de son peuple réunis au nombre d’une centaine environ. La cour en était littéralement encombrée et j’eus grand-peine à arriver jusqu’au fauteuil qu’on m’avait préparé en face de l’almamy. Dès que je fus assis et que tout le monde se fut rangé dans un profond silence, l’almamy me pria d’exposer devant l’assemblée les motifs de mon voyage.

Voici la substance de ma réponse :

« Quand un homme voyage comme moi dans un but d’utilité générale, il est heureux de pouvoir s’expliquer devant une réunion aussi nombreuse. Je suis certain d’avance que tous les hommes sages qui m’écoutent me seront favorables, car je viens demander au nom du gouverneur du Sénégal des relations commerciales plus suivies que par le passé avec Kakandy et avec Sénoudébou. Les Foulahs trouveront dans ces deux comptoirs des étoffes pour se vêtir, des fusils et de la poudre pour se défendre contre leurs ennemis ; ils s’y procureront en un mot tout ce que les blancs possèdent en abondance et ce qui leur manque à eux, et en retour ils nous apporteront en échange de l’or, de l’ivoire, des arachides, tous ceux de leurs produits dont nous avons besoin. Ainsi se resserreront les relations de commerce et d’amitié entre les Français et les Foulahs, au grand avantage des deux peuples ; car ce n’est que par la paix et le commerce que les États prospèrent.

— Parfaitement vrai ! s’écria un des vieux conseillers présents, et chaque jour nous demandons à Dieu de nous envoyer des blancs. »

Ou passa ensuite à la lecture de la lettre ; écoutée au milieu d’un sentiment d’approbation générale, cette lecture ne fut interrompue que par une prière, dont toute l’assemblée crut devoir accompagner les vœux exprimés par M. Faidherbe pour la prospérité de l’almamy. La lecture terminée, Oumar s’exprima en ces termes :

« Des lieux où le soleil se lève et de ceux où il se couche, du côté de la droite (le sud), et du côté de la gauche (le nord), je reçois journellement des envoyés. Mais aucun ne peut me faire le plaisir que me cause celui qui vient de la part du gouverneur de Saint-Louis. Car lui aussi est un grand chef, un puissant monarque. Comme moi il est connu à l’orient et au couchant, au nord et au midi et partout on l’aime ; car il ne veut que la justice. Je prie Allah de maintenir entre nous une étroite amitié et de bonnes relations commerciales, ainsi que vient de le dire ce vieux marabout, notre conseiller. Il faut espérer qu’Allah exaucera nos vœux. »

Ici l’assemblée recommença pour le gouverneur une prière semblable à celle qu’elle avait prononcée peu avant pour l’almamy, etc. Chacun, ayant pendant ce temps les yeux fixés sur ses deux mains ouvertes, répéta trois fois les mêmes vœux.

Je ne pouvais mieux faire que de remercier pour ces litanies, et c’est ce que je fis avec chaleur. Ensuite l’almamy fit étaler devant l’assemblée les cadeaux envoyés par le gouverneur, moins les jumelles, le collier d’ambre et le couteau poignard. Je compris que ces objets, joints au manteau qu’il avait porté le premier jour du Kori, formaient le lot qu’il se réservait, et qu’il distribuerait le reste à ses fidèles.

Je voulus m’excuser pour le peu de valeur de ce présent, mais Oumar ne m’en laissa pas le temps ; il me dit :

« Quand tu m’as remis ces échantillons de l’industrie de ton pays, tu as pu croire, d’après mon silence, que je n’en étais pas content. Eh bien ! je te déclare aujourd’hui, en présence de tous les anciens de mon peuple, que je les ai reçus avec le plus grand plaisir, et que je suis très-content, et par-dessus toutes choses, de ta présence au milieu de nous. Tu ne dois y trouver que la paix, et t’y conduire que d’après ton bon plaisir. »

Une nouvelle et dernière prière pour le succès de mon voyage, suivit cette allocution, et la réunion fut dissoute. J’appris ensuite que l’almamy comptait partir sous peu de jours pour sa résidence de Sokotoro. Il ne tarda pas à m’inviter à aller m’y installer auprès de lui.

À dix ou douze kilomètres dans l’est-nord-est de Timbo, Sokotoro est un site charmant comme en pourrait créer l’imagination d’un poëte pastoral ou d’un peintre paysagiste. Figurez-vous une vaste plaine, bordée d’un côté par le Bafing, et de l’autre, par un cercle de hautes montagnes rocheuses. Sur une colline isolée au centre de cet hémicycle, se groupent, sous des bouquets de verdure, les habitations des pâtres et des cultivateurs (près de deux mille captifs), chargés d’exploiter ce sol privilégié, où de nombreux ruisseaux, courant des montagnes au fleuve, entretiennent toute l’année la fraîcheur, la fécondité et la vie : on dirait un immense jardin.

La demeure du maître de ce riche domaine n’offre rien de remarquable. — Quelques cases, en forme de meule de foin, comme celles du plus humble de ses esclaves, sont entourées d’un enclos palissadé ; ce sont les pavillons de ses femmes. Le sien est à côté, précédé d’une sorte de verandah, où il donne ses audiences. Oumar, dit-on, ne possède pas moins d’une vingtaine de roumbdès aussi considérables que Sokotoro ; aussi peut-il nourrir en temps de famine une partie du Fouta-Dja-