Page:Le Tour du monde - 03.djvu/39

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


VOYAGE AU BAMBOUK ET RETOUR À BAKEL,

PAR S. L. PASCAL.
1859 — 1860


De Bakel à Kholobo. — La vallée de la Falémé. — Résultats de la guerre sainte d’Al-Hadji.

Suivant les instructions qui m’avaient été données, je devais remonter la Falémé jusqu’à Kholobo, traverser le Bambouk et le Natiaga, et atteindre le Sénégal en aval de la chute de Gouïna, parcourant ainsi l’angle intérieur de ces deux cours d’eau, et particulièrement l’arête du Tambaoura qui en sépare les deux bassins.

Je quittai Bakel le 6 décembre 1859 ; j’avais choisi Kéniéba comme point de départ. Après y avoir donné quelque temps à l’examen des gisements aurifères et des établissements français élevés pour leur exploitation, je fixai mon départ au 20.

Mon escorte se composait d’un sous-officier européen, de quatre laptots et de deux tirailleurs ; enfin, j’avais pris à gages, à Bakel, un interprète qui avait fait plusieurs voyages au Ségou. Le bagage que j’emportais, quoique léger, m’avait obligé à me procurer trois bêtes de charge ; il consistait, en outre des vivres que j’avais pris pour huit jours, en sel, tabac et guinée. Le sel, dont la valeur est inappréciable dans le Bambouk, dispenserait de tout autre objet d’échange, si son poids n’en rendait le transport aussi difficile.

Le 20 décembre 1859, je me dirigeais sur Sansandig. Au début de la route, l’eau se rencontre assez fréquemment. Le chemin serpente tantôt au milieu d’arbres d’assez belle futaie et tantôt au milieu des mimosées ; quelques touffes de bambous croissent sur les bords des marigots.

Le village de Sansandig, situé à cinq minutes de la Falémé, se compose tout au plus d’une dizaine de cases habitées par quelques Peuls vivant dans un profond dénûment ; leur réception me fit mal augurer, dès le début, de l’hospitalité qu’allait m’offrir le pays que je devais traverser.

De ce point, je passai successivement à Karé-Fattendi, Karé et Alinkel. Ces trois villages, riches autrefois, sont presque entièrement dépeuplés ; à peine y trouvai-je quelques pauvres diables pour me renseigner et me parler de leur pays. L’étonnement que leur causait ma venue les faisait fuir à mon approche ; mais, bientôt rassurés, tous s’offraient pour me montrer l’or sur les bords de la rivière, et, mettant en moi leur confiance, ils n’espéraient, me disaient-ils, qu’en la venue des blancs.

À Karé-Fattendi, je ne trouvai qu’un amas de ruines. Les bords de la rivière y sont difficiles, presque inabordables ; elle doit être profonde, à en juger par la quantité d’hippopotames qui se jouaient dans ses eaux, pendant que nous reposions sous un superbe tamarinier.

Dans ce pays ruiné par la guerre, la végétation est fort belle ; les tamariniers et les samanas y atteignent une hauteur considérable. Le chemin est presque toujours ombragé par les arbres ; mais les mimosées y croissent en grand et retiennent trop souvent le voyageur, ou l’obligent à courber la tête devant leurs épines menaçantes.

À Alinkel comme ailleurs, on ne rencontre que des ruines qui contrastent péniblement avec la richesse du sol, couvert de cultures, surtout sur les berges de la rivière où la terre conserve plus longtemps la fraîcheur et où le travail de l’homme se réduit aux ensemencements, et, quand le mil approche de la maturité, à la garde de champs que viennent dévaster les oiseaux et les singes.

Les ravages encore récents d’Al-Hadji avaient distrait tous les habitants de leurs occupations habituelles, et les avait contraints à demander à la fécondité de la terre les moyens d’existence que leur assuraient autrefois les dépôts aurifères de la Falémé.

En se retirant du Fouta, Al-Hadji avait divisé ses bandes en trois colonnes ; l’une dut remonter le Sénégal, une autre la Falémé, et la troisième suivre une route intermédiaire à travers le Bambouk, de manière à ce que pas une case, pas un être vivant ne pût leur échapper. Toutes les populations, hommes, femmes et enfants, furent entraînées à la suite du prophète. Les villages, après avoir été pillés, furent livrés aux flammes. Pour leurs malheureux habitants arrachés à leurs foyers, il ne devait plus y avoir d’autre patrie que celle que le marabout leur promettait dans le Kaarta.

Sur la route, beaucoup désertèrent et vinrent reformer les centres de population ; aujourd’hui, tous savent qu’il n’y a plus de salut pour eux qu’auprès des Français.

Le chef d’Alinkel lui-même vint me conduire sur les bords de la Falémé, aux endroits ou l’on recueille l’or, et me fit ressortir les avantages d’un établissement français dans son village.

La largeur de la rivière est, en cet endroit, de cent vingt mètres. Les grands arbres qui ornent ses rives, le bruit de l’eau qui se brise en cascades, et les roches qui embarrassent son lit font de cette section de la rivière une des plus belles de tout son cours.

Le soir, mes hommes firent la curée d’un caïman dont les gens du village voulurent bien nous vendre une partie. Nous partîmes le lendemain, et avant dix heures nous étions à Farabana. La route présente partout le même aspect : quelques marigots dans cette saison, presque toujours à sec, de hautes herbes, des mimosées, et parfois une véritable forêt de haute futaie dont le feuillage nous préservait de l’ardeur du soleil.