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besoin de m’y associer et d’adresser aussi à Dieu une courte et fervente prière chrétienne.

En ce moment des cris perçants, des clameurs de toute sorte, s’élevèrent entre nous et la ville, et je vis la foule se répandre en courant dans la plaine. Je crus un moment que les Oubous, tribus dissidentes qui habitent les montagnes au sud du Sénégal, profitaient de l’opportunité du moment pour attaquer Timbo[1]. Mais tout ce tumulte provenait simplement de ce que le salam étant terminé, les enfants, secouant le joug de la discipline, prenaient leurs ébats, comme font en tous pays les écoliers au sortir de classe.

Forgeron à l’ouvrage au Fouta-Djalon. — Dessin de Hadamard d’après M. Lambert.

C’était jour de fête générale et chacun voulait s’amuser le plus possible. La Providence elle-même semblait avoir pris soin de leur fournir un spectacle pour cette occasion solennelle, et tous s’en donnèrent à cœur joie. Ce spectacle, c’était moi. Cabales, intrigues, corruption même, rien ne fut épargné pour jouir de la vue de ma personne. J’eus affaire au moins à dix pères et à vingt frères de l’almamy. Tous les autres curieux étaient, suivant leur âge, ses oncles ou ses cousins. Je finis par défendre ma porte à tous ces princes du sang, mais sourds aux représentations de ma sentinelle, ils forcèrent la consigne. J’eus recours à un moyen extrême, je fermai ma porte à clef. Hélas ! une brèche pratiquée dans la haie de ma cour, livra bientôt passage au flot des envahisseurs, qui finirent par enfoncer ma porte. Cocagne ayant eu le tort de dire qu’on ne laisserait entrer que ceux qui m’apporteraient des provisions, je fus en un instant accablé sous une avalanche de poulets, d’oranges, de bananes et d’œufs ; d’œufs surtout, car les Africains qui n’en consomment pas, s’imaginent (ce préjugé existait déjà au temps de Mungo-Park) que les Européens les mangent crus, et l’espoir de me voir commettre cette énormité était pour beaucoup dans la générosité des donateurs.

Sur le point d’être étouffé par la foule, je m’empressai d’accepter l’offre d’un de mes persécuteurs, et de l’accompagner chez son oncle Ndiogo, lequel n’était pas parent supposé, mais bien réellement ami de l’almamy.

Ndiogo, un des capitaines ou généraux d’Oumar, est habile dans le conseil et fort dans le combat ; il jouit de l’estime et de la confiance de tous ses compatriotes. Il mit tant de chaleur dans son accueil, parla de ma mission en termes si flatteurs, que je crus d’abord n’avoir

  1. Les Obous sont des Foulahs que le fameux Al-Hadji, ce boute-feu de la Sénégambie, est parvenu à détacher du tronc national et de l’autorité de l’almamy. À la voix du faux prophète ils attaquèrent Timbo en 1859, s’en emparèrent et la livrèrent au pillage. Ils tuèrent un grand nombre d’habitants et s’emparèrent d’innombrables troupeaux et de plusieurs centaines de captifs. Oumar, accourant de sa villa de Sokotoro, réunit les contingents de Labé et du Bouvé, repoussa les Oubous dans leurs montagnes et leur reprit la plus grande partie de leur butin.