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autant contre Strasbourg que contre l’Allemagne, et la double enceinte de la cité, les écluses à l’aide desquelles on inonde les fossés, l’île enfin qu’enveloppent deux des bras de la rivière et qui forment à l’intérieur de la forteresse un réduit pour une résistance désespérée. Il y a pourtant quelque chose qui vaut mieux que tout cela pour la défense de Strasbourg ; c’est que l’ennemi ne pourrait aux environs donner un coup de pioche, sans faire jaillir l’eau ; il se noierait dans ses tranchées.

Je ne vous parlerai pas du Münster, de la fameuse horloge de Schwilgué et de cette flèche à jour, qui monte plus haut qu’aucun des monuments que l’homme ait bâtis ; la gravure en est partout. Mais je noterai que Strasbourg soigne sa cathédrale, comme une ménagère hollandaise soigne sa maison. Elle est lavée, brossée, frottée du haut en bas. Je défie qu’on y trouve six pouces carrés de muraille accessible à la brosse où l’œil et la main des surveillants ne passent point, chaque semaine, peut-être chaque jour. Sur la plate-forme de la petite tour, à trois cent soixante marches de hauteur, deux gardiens veillent en permanence, avec un immense porte-voix, pour crier à la ville, dès qu’ils voient briller une étincelle, qu’un incendie s’allume. Afin de les obliger à rester là, la municipalité leur y a bâti une maisonnette, et, pour être bien sûre qu’ils tiennent les yeux ouverts, elle leur fait sonner toutes les quinzes minutes la grande cloche. Que la ville dorme ou veille, ils sonnent toujours. Voilà une drôle d’existence, passée à cent mètres en l’air, à remuer un battant d’horloge ! En décembre et en janvier il ne doit pas faire bon là-haut, vers les quatre heures du matin, par une jolie brise de l’est. Ils ont la ressource de faire comme Castor et Pollux qui étaient alternativement au ciel et aux enfers : chacun à tour de rôle, gèle sur la plate-forme et ronfle auprès du poêle.

Strasbourg, je vous l’ai dit, a le culte de son Münster. La ville d’ailleurs ayant pris la place d’un marais, on n’y voit rien que le ciel : donc, on monte souvent à la plate-forme de la tour, pour respirer à l’aise, regarder au loin et se laisser aller à cette vague et douce rêverie qui vous prend si vite sur les hauts lieux. Mais Strasbourg aime aussi à dîner et à boire ; la plate-forme n’est pas toujours le théâtre d’une contemplation inactive : on y festoie largement. Goethe raconte qu’il venait souvent y goûter, et un goûter allemand, même de poëte, serait un solide dîner ailleurs. Une inscription gravée sur la tour rappelle qu’en 1842 le congrès scientifique siégeant dans la ville fut convié par la municipalité à un grand banquet qui eut lieu sur la plate-forme. Le Münster, vous le voyez, sert à tout. La montée, la chaleur et le grand air avaient donné bon appétit et grande soif : l’inscription ne dit pas comment se fit, ensuite, la descente des trois cent soixante marches.

On dit que les rues de Strasbourg, comme certaines rues de Rouen, gardent leur cachet du moyen âge. J’ai vu peu de vieilles maisons en bois, quoiqu’il y en ait encore bon nombre à étages surplombant. On remarque quelques constructions modernes faites avec la pierre rose des Vosges, et presque partout ces grands toits qui vont si bien à notre climat et qui se prêtant à des combinaisons variées, finissent mieux l’édifice.

Une rue de Strasbourg[1]. — Dessin de Lancelot.

Une de ces décorations m’intrigua longtemps. À force

  1. Notre gravure des vieilles maisons de Strasbourg est empruntée à une planche du Strasbourg illustré, ou panorama pittoresque, historique et statistique de Strasbourg et de ses environs, par Frédéric Piton, 1855. C’est un livre qui contient de curieux ren-