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de Metz, ils le méritent un peu tous. Pays d’action plus que de pensée, la Lorraine qui a vu tant de ses enfants maréchaux, officiers supérieurs et légionnaires[1], n’a, je crois, que deux écrivains, Palissot et Gilbert, dont l’un compte à peine, dont l’autre peut-être a été trop compté ; deux artistes aussi : Claude Gelée, grand peintre, mais qui ne le fut qu’après avoir trempé son pinceau dans la lumière de l’Italie et dans la poésie de la mer ; Callot, un véritable artiste lorrain, celui-là, par son goût du réel, le dessinateur ou le peintre des Misères de la guerre et des Pendus.

Je ne sais plus dans quelle province de l’ouest je rencontrai un jour une noce de paysans. C’était au lendemain du mariage. Deux violons allaient en tête à travers champs ; derrière, dansaient et riaient parents et amis tous parés de rubans et de feuillage, tandis que les deux fiancés, la main dans la main, sans mot dire, marchaient lentement le long de la haie en fleurs. À Liverdun aussi, pendant la minute d’arrêt, j’ai vu une noce de village défiler devant la gare. Il y avait bien les violons, mais suivis d’un vigoureux gaillard qui, les manches retroussées, portait, en guise de bannière, pendus aux dents d’une fourche un énorme quartier de veau, des volailles et des lapins. La première eût réjoui les yeux et le cœur de Lamartine ; Pantagruel se fût mis de la seconde.

Nous voilà dans le riche bassin de la Moselle, dont les habitants, en dépit de la latitude, veulent boire du vin de leur cru, et en font. Je ne vous dirai pas qu’on récolte là de grands vins. Le meilleur de la Meurthe, celui de Thiaucourt, ne se vend que de dix-huit à vingt francs l’hectolitre ; mais celui de Scy, dans la Moselle, monte à cinquante francs, quand il est vieux, et on a vu des vins de Bar-le-Duc atteindre jusqu’à soixante-dix dans les bonnes années. Or, comme la Lorraine n’a pas consacré moins de trente mille hectares à cette culture et que le rendement moyen est d’au moins trente-cinq hectolitres l’hectare, on voit qu’elle produit plus d’un million d’hectolitres de vin, et que cette industrie met quelque chose comme vingt millions dans sa poche ; à moins qu’elle ne préfère, ce qui se pourrait bien, en mettre le produit dans son estomac. Les droits à peu près prohibitifs qui, depuis 1814, arrêtent l’exportation sur Liége et le Luxembourg, font passer dans la consommation locale tout ce qui ne parvient pas à se faire transformer, à Châlons ou à Épernay, en champagne du plus authentique.

Les camps volants. — Dessin de Lancelot.

J’aurais voulu visiter Toul la Sainte, Nancy la Royale, et Lunéville la Militaire où la campagne est si verte, mais où la jeune fille regarde bien plus les beaux cuirassiers. Nous les traversons à toute vapeur et de côté, car les chemins-de-fer ont plus de respect pour les villes que pour les montagnes ; ils tournent poliment autour de celles-là, tandis qu’ils passent sans façon tout au travers de celles-ci.

C’est à peine si j’ai le temps d’apercevoir les deux tours de la cathédrale de Toul richement décorées de leur dentelle de pierre. Je vous renvoie donc aux descriptions qu’on a tant de fois données, par le burin et la plume, des splendeurs de Nancy, une de nos villes de province où la ligne droite et la colonne ont le plus tôt régné. D’ailleurs, à ces monuments dont elle a le droit d’être fière, mais dont on trouve partout l’équivalent, je préfère la petite croix de pierre de l’étang Saint-Jean[2]. Là, une grande justice a été faite et une grande leçon a été donnée ; là, a été brisée, il y a

  1. Fabert, Lasalle, Custine, Richepanse, Grenier, Molitor, Leclerc sont de Metz ; Ney de Sarrelouis ; Oudinot, Excelmans, Lobeau et Gérard de la Meuse ; Drouot de Nancy, etc.
  2. Cet étang, aujourd’hui desséché, est une prairie que le chemin de fer traverse, et où s’élève la gare de Nancy.