Page:Le Tour du monde - 03.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

proscrits, et, par hasard, je découvris, dans un entretien chez une parente d’Unzaga, que mon mari avait renoncé au projet de m’appeler vers lui. En lisant ma lettre, il s’était écrié avec larmes : « Pourquoi abuser de cette forte volonté et de cette tendresse ? Ne sais-je point, moi, ce que c’est que de braver et souffrir la mort ? Ce serait une barbarie que d’exposer Agostina à de si grands périls ! » Ensuite une profonde tristesse s’était emparée de lui ; il était tombé gravement malade, et il avait recommandé que ni moi ni ma famille n’en fussions avertis.

Le jour même, malgré toutes les supplications de mes parents, je partis, je voyageai jour et nuit ; je traversai, sans m’arrêter, Matara ; je pénétrai dans le désert.


V

En entrant sous la hutte de mon mari, je m’élançai les bras ouverts : mais lui, Don José, se recula et me regarda avec une froide indifférence ! son regard était fixe, terne ; sa pâleur, sa faiblesse étaient extrêmes ; j’avais sous les yeux, hélas ! un être privé de raison !

Le chasquis ou messager. — Dessin de Castelli.

Épouvantée, je voulus parler… Unzaga me fit un signe. Je réprimai mes cris, non mes larmes !

Le plus doucement possible, j’adressai quelques paroles d’affection à mon mari : il me répondit, avec calme, des extravagances.

Je ne sais comment je ne suis pas morte sur-le-champ de douleur.

J’interrogeai Unzaga. La maladie avait commencé par une fièvre lente. « Je veillais toujours près de lui, disait Unzaga, excepté aux heures où il me fallait sortir pour aller chercher un peu de nourriture. Il m’avait fait jurer de ne pas vous avertir. Je lui devais tant que je ne crus pas pouvoir désobéir à ses ordres. D’ailleurs j’étais