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nous arrivons au Carregado. Là nous prenons la voie ferrée[1] ; nous traversons sans nous y arrêter Villafranca, Alhandra et Pavea, et nous descendons aux portes de Lisbonne, à la gare de Santa Apolonia.


(Nous retranchons de cette relation tout ce qui concerne Lisbonne, nous proposant de publier plus tard une livraison où seront étudiés avec soin les monuments, la population et les mœurs de la capitale du Portugal.)


XXVII

Une de nos premières courses nous conduisit à Belém. Nous y allâmes par le Tage[2], et un bote que nous prîmes au quai de Sodré nous fit naviguer au milieu des navires de guerre et des bâtiments de commerce qui encombrent le port, avant de nous débarquer au pied de la fameuse tour, à deux pas du célèbre couvent[3].

La tour a été fondée par le roi Juan, surnommé le Prince parfait. Le lecteur trouvera joint à ce récit une gravure qui mieux qu’une description lui fera connaître ce précieux édifice.

Le couvent dos Jeronymos s’élève sur l’emplacement d’un ancien monastère de chevaliers du Christ. Au retour de Vasco de Gama, Manoel voulut perpétuer par un monument le souvenir des succès du hardi navigateur, et les travaux d’une abbaye que devaient habiter les hiéronymites de Penha-Longa furent entrepris sous la direction d’un architecte italien, élève de Bramante, nommé Botaqua, prétendent les uns, sur les dessins d’un artiste portugais du nom de Juan de Castilho, avancent les autres. D’un Italien ou d’un Portugais l’œuvre est très-belle, hardiment conçue, surtout admirablement exécutée, et, par exemple, quand on pénètre dans l’intérieur du temple l’esprit reste confondu devant tant d’audace dans les dispositions générales, tant d’esprit d’invention dans ces milliers de détails multipliés à l’infini et qui ne se reproduisent nulle part. Les artistes de Manoel ont cette fois été mieux inspirés ou mieux guidés qu’à Thomar ; leur travail est plus léger et plus élégant, leur ciseau plus ingénieux et plus souple, et tous ces bouillons de dentelles dont ils ont orné à profusion la voûte et les piliers, sans prouver un goût absolument distingué, dénotent au moins un merveilleux talent d’exécution, une grande adresse de combinaisons[4].


XXVIII

Nous ne pouvions manquer d’aller à Cintra, séjour d’un printemps éternel, où Phœbé eut jadis un autel et que les séductions de la nature embellissent à chaque pas. Nous partons en poste entraînés de calçada en calçada par un excellent attelage de quatre mules. Nous passons devant la quinta de las Larangeiras, devant Bemfica et Campo-Grande ; nous soufflons un instant à Porcalhota, le temps de laisser les bêtes manger une poignée de fèves ; nous voyons Quéluz à gauche, nous traversons Cacim au galop, puis Xarneça ; d’un côté le Ramalho, de l’autre la quinta du marquis de Vianna sont dépassés aussitôt qu’aperçus, et nous sommes à Cintra.

Le jour même de notre arrivée, nous pûmes visiter le château royal, où l’on trouve des parties d’architecture arabe assez considérables pour faire croire que Juan Ier ne fit qu’approprier à ses convenances un ancien palais des rois maures de Lisbonne. Je n’entrerai ni dans la description ni dans l’analyse de toutes ces constructions, où chaque siècle semble avoir écrit son nom, et qui réveillent tant de souvenirs divers. Dans ces appartements somptueux, le chef de la dynastie d’Aviz venait se reposer de ses glorieux travaux ; c’est là que s’ouvrit et se ferma la carrière d’Affonso V dit l’Africain, et que D. Sebastien découvrit aux grands du royaume son projet d’entreprendre cette désastreuse campagne contre les Arabes, qui devait ne durer qu’un jour ; c’est là que vit s’écouler les dernières années de sa triste vie, Affonso VI le Victorieux, déclaré incapable de porter la couronne à la suite d’un procès honteux, et l’on montre encore l’étroite et sombre prison

  1. Dans l’avenir, le Portugal aura probablement un réseau de voies ferrées. Par une loi du 7 juillet 1853, le gouvernement a donné la concession du chemin de fer de Santarem (soixante-douze kilomètres), avec prolongement, décidé seulement en principe, sur la frontière d’Espagne, à la compagnie centrale péninsulaire des chemins de fer du Portugal. Cette compagnie cessa les travaux en septembre 1855. Le gouvernement s’empara alors de la ligne. Deux directions furent arrêtées : l’une sur Porto, passant par Santarem, Thomar, Pombal, Soure, Coïmbre, Aveiro et Ovar ; l’autre partant de Santarem et touchant Abrantès, Crato, Portalègre, et coupant la frontière espagnole à Badajoz. La ligne est aujourd’hui en exploitation jusqu’à Santarem. Le reste n’a été étudié que sur le papier, et le gouvernement, le 6 juin 1859, a rompu le contrat qui avait concédé le chemin de fer de Porto à une compagnie anglaise. Une autre ligne, livrée au public, part de Barreiro, sur la rive gauche du Tage, presque en face de Lisbonne, et va jusqu’à Vendas-Novas. Elle devait poursuivre sur Montemor, Evora, Beja, et gagner Badajoz. Malheureusement les ingénieurs ont reconnu, sur certains points du tracé, des difficultés de terrain qui empêcheront sans doute les rails de dépasser Vendas-Novas. Le chemin de fer de Cintra, soumissionné en 1854, est en voie de construction. Il est aussi question d’une ligne qui relierait Porto à Vigo.
  2. L’entrée du Tage est toujours sûre. Deux passes sont ouvertes à l’embouchure : celle dite Barra do corredor et celle du sud. Les navires s’engagent de préférence dans la première.
  3. Le mouvement commercial de Lisbonne est considérable. En 1857, il a fourni à l’importation 53 262 372 francs, et à l’exportation 27 742 266 francs. Il est entré dans le port 2682 navires ; il en est sorti 2690. — La navigation générale du Portugal, en 1855, a été faite par 8970 navires à l’entrée, et 9386 à la sortie, les pavillons étrangers figurant dans ces chiffres pour un tiers environ. La douane du port de Lisbonne a rapporté, en 1858, 10 456 581 francs 18 centimes, et la douane municipale 3 7984171 francs 76 centimes. — Dans ce dernier chiffre, les viandes sont comprises pour 1 525 000 francs, les vins pour 795 000 francs, les céréales pour 720 000 francs. Le service des deux douanes de Lisbonne est fait par 821 employés.

    La marine militaire, bien décline de son ancienne splendeur, et qui eut autrefois jusqu’à 300 navires à la mer, ne compte plus qu’un vaisseau, une frégate, six corvettes, quatre bricks, sept avisos, deux goëlettes, un transport, un cutter et deux cahiques ; soit vingt-cinq navires, sur lesquels dix sont à vapeur, montés par deux mille quatre cent quatre-vingt-trois hommes.

  4. Dans le chœur de Santa Maria de Belém se trouvent les tombeaux de D. Manoel et de sa femme D. Maria Fernanda ; ceux aussi de D. Juan III et de Catherine, Philippe de Castille. Derrière le maître autel, sous un beau saclaria d’argent, ont été déposées les dépouilles mortelles d’Affonso VI.