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c’est-à-dire une montagne verdoyante et fleurie, d’où s’échappent par cent issues des cascades de rues, de couvents, d’églises, et portant au front, ainsi qu’une reine sa couronne, un monument célèbre ; et dans ce tohu-bohu indescriptible de toits, de murs, de campaniles, de clochetons, de maisons dont les vitres étincellent éclaboussées par le soleil, d’arbres et de fleurs, on voit apparaître par intervalles le faîte édenté d’une vieille muraille étayée par-ci par-là de quelques tours branlantes. C’est là tout ce qui reste de l’enceinte dont Martinho Freitas, assiégé par un prince usurpateur, ne voulut rendre les clefs que sur le tombeau du roi son maître.

En rentrant en ville par la Calçada où les étudiants et les bourgeois se réunissent le soir, M. Smith dit au jeune homme qui nous avait guidés dans notre promenade.

« Sais-tu ce qu’était ce Camoëns, dont le nom est au bas de l’inscription de la fontaine des Amours ?

Si, Excellencia, hum homem antigo (un homme ancien).

— Je m’en doutais. Et après ? »

Pas de réponse.

« Était-ce un général ?

Nao, hum homem antigo.

— Un évêque, un moine, un poëte ?

Nao, hum homem muito antigo, Excellencia ! »

Voilà tout ce qu’on put tirer de ce rustre, digne de manger de l’herbe.


XVIII

Coïmbre est la ville universitaire du Portugal. Fondée à Lisbonne en 1290 par le roi Diniz, o lavrador (le laboureur), peut-être sous l’inspiration d’un Français, Émeric d’Esbrard, l’Université fut transportée, en 1308, à Coïmbre. Elle retourna, en 1338, dans la capitale, puis, en 1537, elle fut rendue aux bords du Mondégo.

L’Université s’ouvre sur la rue Large par la Porta ferrea (porte de fer). Le dessin qui accompagne ce récit me dispense de décrire la façade du monument, et le lecteur fera lui-même la part du bon et du mauvais, du vieux et du moderne. La galerie, appelée Via latina, sert de promenoir aux élèves, et, à gauche, de vestibule à la salle où les étudiants passent leurs thèses et soutiennent leurs examens. La salle est belle, le vaisseau a de l’étendue, de l’élévation, et les portraits des princes qui dirigèrent les destinées du pays en forment la principale décoration. L’image du roi régnant est toujours placée au-dessus du siége du recteur.

Près de là, débouchant également sur la Via latina, on trouve les classes de droit et de théologie ; celles du cours administratif sont aussi, je le crois du moins, de ce côté. Les classes de philosophie et de mathématiques ont été installées dans les bâtiments du musée, et les cours de la Faculté de médecine se font à l’hôpital. Le recteur occupe un logement dans le palais même de l’Université, où sont encore les archives, la bibliothèque, et les ateliers d’une imprimerie parfaitement outillée.

Le roi se réserve la nomination du recteur. Les professeurs sont aussi nommés par Sa Majesté, mais sur la présentation et l’avis de l’Université.

L’élève doit être âgé au moins de seize ans ; le français ou l’anglais est exigé. Il paye soixante francs au moment de son inscription, et une autre somme également de soixante francs à l’expiration des cours. Pendant l’année scolaire 1857-1858, le nombre des étudiants a été de huit cent trente-trois. En les réunissant aux cinq cent quatre-ving-trois du lycée, le total présente un ensemble de quatorze cents seize élèves. 1856-1857 n’avait fourni que treize cent onze étudiants, et l’année précédente, neuf cent quatre-vingt-dix seulement[1].

Pour assister aux cours, l’élève doit endosser la batina e capa. C’est une espèce de soutane en drap noir que les jésuites avaient donnée comme uniforme aux disciples de l’Université, et que l’on a conservée. Obligatoire autrefois pour les étudiants, alors même que les classes étaient fermées, la robe universitaire remplissait alors la ville de ses plis sombres et de tapage. Du reste, la physionomie de Coïmbre devait être extrêmement curieuse, lorsque les moines des nombreux couvents de la ville se répandaient dans les rues, et que la batina e capa envahissait bruyamment les promenades. Le bon bourgeois s’inclinait au passage des révérends pères, et faisant presque toujours mauvais ménage avec l’Université, il abandonnait le haut du pavé à cette jeunesse studieuse à l’école, mais affectant un peu trop à la ville des façons de tranche-montagne.

Des fenêtres de notre hôtel nous plongions dans l’intérieur d’une pharmacie. Le soir, la boutique était pleine de gens qui parlaient. En Portugal, il est d’usage que le boticario (pharmacien) prête son officine à ses clients désireux de causer du tiers et du quart, et là, entouré de drogues et de sirops, dans ce milieu de pilules et d’élixirs, chacun vient débiter sa petite malice, et s’amuser, quelques heures durant, aux dépens du prochain.

Olivier Merson.

(La suite à la prochaine livraison.)



  1. L’État entretient quinze cent cinquante professeurs d’enseignement primaire des deux sexes. En 1820, le Portugal avait huit cent soixante-treize écoles subventionnées par l’État et fréquentées par vingt-neuf mille quatre cent quatre-vingt-quatre élèves. En 1833, le nombre de ces écoles montait à onze cent quatre-vingt quatorze et celui des élèves à cinquante mille six cent quarante-deux. Tous les établissements de bienfaisance ont ouvert des classes ; il y en a d’autres dont les frais sont supportés par les particuliers ; pendant l’année 1853, quarante et un mille élèves en ont suivi les leçons. Depuis lors, le nombre de ces établissements a beaucoup augmenté, ainsi que ceux auxquels l’État vient en aide. Chaque chef-lieu de district a un lycée pour l’enseignement secondaire. L’État entretient à Porto et à Lisbonne des écoles polytechniques ; à Funchal (Madère), Lisbonne et Porto, des écoles medico cirurgica ; l’école de l’armée à Mafra ; le collége militaire, l’école navale et l’institut industriel à Lisbonne.