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tugaise. Le comte D. Affonso, fils naturel de Jean Ier, épousa en 1401 la fille unique du connétable D. Nuno Alvarès Pereira ; à cette occasion, entre autres dotations, villes, seigneuries ou commanderies, il reçut le comté de Barcellos. C’est ce prince qui devint la souche de la maison de Bragance. Auprès de l’église principale dont les sombres et graves murailles attestent l’antiquité, se dresse un donjon ridé et en partie ruiné. C’est là le berceau de la maison aujourd’hui régnante en Portugal, à laquelle le pays devra sans doute le retour des temps prospères. L’époque des conquêtes et des grandes découvertes maritimes est irrévocablement close ; mais si toutes chances d’agrandissement territorial sont perdues, le Portugal trouvant dans son propre passé d’illustres exemples, gages précieux des succès à venir, peut occuper encore une place utile parmi les nations, et c’est à développer dans l’esprit de son peuple (ce qui doit lui rendre un jour une partie de son ancien renom) le génie de l’industrie, de l’agriculture et des arts, que s’applique noblement le roi D. Pedro V. Le château fait face au Cavado, et l’église n’était autrefois que la chapelle du vieux manoir.

Le jour de notre halte à Barcellos (25 avril), il y avait marché. Cette circonstance nous permit de voir dans leurs costumes nationaux plusieurs centaines de tricanas (villageoises) et de pescadores (pêcheurs). Le costume des hommes ne présente aucun caractère original et ne tranche pas, d’une manière frappante, sur ceux que nous voyons dans nos campagnes du Midi. En fournissant des détails sur l’habillement des anciens habitants de la Péninsule, Strabon dit que les Lusitani s’enveloppaient de manteaux noirs, parce que la plupart de leurs moutons étaient de cette couleur. C’est probablement pour le même motif que les habits des Portugais de nos jours sont encore noirs ou bruns. Le costume des femmes, au contraire, a beaucoup de cachet. La jupe est plissée à plat, courte, et quelquefois retroussée par une ceinture découvrant les trois quarts d’une jambe ordinairement nue ; le corsage, retenu sur la poitrine par deux ou trois boutons d’argent, accuse nettement les formes ; séparé de la jupe, il laisse bouffer la chemise autour du corps, et les manches, qui sont celles de la chemise, se portent larges et quelquefois relevées. La coiffure se compose d’un grand chapeau de feutre noir souvent orné de pompons, presque toujours garni d’un lenço ou mouchoir blanc, dont les plis se répandent sur le cou et les épaules pour les protéger contre les rayons du soleil. De longues boucles d’oreilles, et même des colliers et des chaînes en or complètent ce costume pittoresque où le jaune, le rouge et le vert clair dominent. Les femmes placent volontiers leurs fardeaux sur la tête. Cette habitude, en les forçant à se tenir exactement droites, contribue, sans doute, à leur donner un maintien roide et fier.

Église de Villa de Conde. — Dessin de Catenacci d’après une photographie de M. Seabra.

J’ai dit plus haut que l’habillement des hommes n’avait pas d’intérêt. Il convient de signaler cependant les manteaux appelés honras de Miranda, dont les ornements en couleurs criardes jurent aux yeux, et le vêtement que j’ai vu à quelques marchands de poulets. Celui-ci mérite un mot de description. Il est, en entier, fait de paille : longue pèlerine de paille, jupon de paille, plastron de paille : ôtez à ce rustico (paysan) son grand feutre, et vous aurez une sorte de ruche animée, ou plutôt un sauvage, un Esquimau, un homme des forêts vierges, un être enfin qui n’appartient ni à nos climats ni à notre civilisation.


VII

De Barcellos à Braga on compte cinq lieues portugaises. La route côtoie d’abord la rive droite du Cavado ; elle franchit ensuite le petit fleuve, et, en se dirigeant à l’est par un chemin dit de seconde classe, on débouche dans une plaine d’un aspect enchanteur que fertilisent au nord le Cavado, la Doste au midi et l’Ave au levant.

Au centre s’élève une colline ; sur cette colline ruissellent des rues, s’accrochent des murs, grimpent des toits, serpentent les restes d’une ancienne fortification, au dehors de laquelle se sont éparpillées jusque dans la plaine des maisons qui semblent être tombées du ciel, au hasard, sur un admirable tapis d’herbe et de fleurs : c’est Braga. Voilà un lieu de suprême délectation pour les yeux, l’esprit et le cœur. Les yeux n’en peuvent embrasser de plus magnifique, de plus harmonieux ; c’est une des plus belles fêtes auxquelles la nature terrestre puisse les inviter. L’esprit se dilate et renouvelle ses forces en présence de ce tableau dont la richesse l’émerveille, en présence de ces rivières, de ces vallons, de ces collines, de ces montagnes, de ces frais bocages, de ces campagnes fécondes. Les cordes intimes du cœur se raniment ; on ressent en soi des vibrations oubliées ou inconnues ; des voix mystérieuses vous parlent, vous réjouissent et vous consolent, et l’on éprouve des élans indéfinissables qui vous transportent dans les régions sublimes de la poésie. C’est une gerbe de douces pensées,