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trois cent trente-cinq mille sept cents mètres cubes. Du reste, c’est en quelque sorte un long canal par lequel les mers intérieures, qu’on appelle les lacs du Canada, communiquent avec l’Océan. L’eau qui s’écoule du lac Ontario doit passer par-dessus les gigantesques écluses naturelles obstruant le cours du Saint-Laurent ; elles le divisent en plusieurs bassins successifs, dont les anciennes berges forment aujourd’hui ces rapides, qui s’étagent les uns au-dessous des autres depuis les lacs jusqu’à la mer.

Le 9, à mon réveil, je fus surpris de voir la terre de tous côtés. Il semblait que le vapeur ne pourrait jamais trouver de passage à travers les forêts qui nous environnaient de toutes parts. Nous étions au milieu des Mille îles, immense archipel d’îles, d’îlots et de rochers couverts de bouquets d’arbres verts. Ces bois, infréquentés, sont du caractère le plus sauvage et le plus pittoresque. Les grands arbres morts tombent çà et là sur les arbustes qu’ils écrasent. C’est un pêle-mêle de végétation vraiment étrange. La nature se montre ici dans toute la négligence de sa luxuriante grandeur. Il faut plusieurs heures pour parcourir les chemins sinueux de ce labyrinthe, dernier vestige sans doute de quelque digue naturelle, rongée et dépecée par les eaux des grands lacs, soit dans la succession des siècles, soit dans un jour de commotion géologique ; au delà s’étend la vaste nappe du lac Ontario.

L’escalier des géants, près de la cascade de Montmorency (p. 255). — Dessin de Paul Huet d’après M. Deville.

Dès que nous pûmes nous y lancer à toute vapeur, nous n’aperçûmes plus que le ciel et l’eau, comme si nous eussions été en pleine mer ; comme en pleine mer aussi nous y essuyâmes une violente bourrasque, qui dura toute la nuit, et mit fort mal à l’aise tous ceux des passagers qui n’avaient pas le pied marin, c’est-à-dire l’estomac solide.

À la pointe du jour, le vent et les lames tombèrent à la fois comme nous atteignîmes Toronto, la ville la plus considérable du Canada occidental. Elle renferme quelques édifices considérables et compte une population de trente-cinq mille âmes qui vont toujours s’accroissant.

Deux autres heures de navigation le long des bras qui couvrent la rive américaine du lac nous amenèrent à Hamilton, terme de notre voyage ; nous avions en trois jours franchi neuf cent soixante-dix kilomètres.

L. Deville.

(La suite à la prochaine livraison.)