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klin, son grand citoyen, et du Français Gérard, qui a fondé, pour les enfants orphelins de la cité des frères, un collége monumental, doté par lui de dix millions six cent mille francs.

Baltimore, située au débouché du Patcepsco, dans le golfe de Chesapeake, compte deux cent mille habitants. Cette ville, qui a déjà le caractère des villes du Midi, mais du Midi à esclaves, est tout à la fois le chef-lieu l’État de Maryland et le grand emporium du commerce de la Virginie et de la Caroline du Nord. On y vient de Philadelphie en cinq heures par le chemin de fer. Deux autres heures m’amenèrent à Washington.

Je ne fis que passer rapidement dans cette capitale, qui n’est encore occupée que par les administrations centrales de l’Union, et qui attendra bien des années encore la population que ses fondateurs ont eue en vue quand ils ont trouvé le plan de ses vastes rues et de son enceinte immense.


Départ pour le Canada. — Saratoga. — Campement d’Indiens Mohawks. — Lac Champlain. — Liberté des jeunes filles aux États-Unis. — Montréal. — La cathédrale. — Incendie d’un hôtel. — La Chine. — Village iroquois.

À la fin d’août, les journaux ayant annoncé la disparition du choléra dans le Canada, je me décidai à quitter New-York et à profiter d’un des trois bateaux à vapeur qui font le service entre cette ville et Albany. Cette concurrence fait diminuer les prix, mais rend la navigation dangereuse, par suite de la lutte de vitesse qui s’engage entre les trois capitaines. Chacun d’eux veut doubler le premier la pointe de Verplanks. Nous étions sur le point de passer devant le steamer qui nous précédait, lorsqu’un autre atteignit notre bateau, le choqua en passant, et vint prendre la tête de la flottille. En cet endroit l’Hudson est heureusement trop resserré entre deux chaînes de montagnes pour que notre capitaine puisse tenter de reconquérir sa place première. Quelques voyageurs s’en réjouissent, craignant les résultats d’une telle lutte. On cite en effet plusieurs terribles accidents occasionnés par l’explosion des chaudières chauffées outre mesure.

Arrivé à Albany le 1er septembre, je repris à onze heures du matin le convoi qui partait pour Saratoga, le Baden-Baden américain. En passant devant Troye, je vis que cette jeune cité avait failli éprouver tout récemment le sort de sa vieille marraine : n’incendie venait d’y dévorer, non les palais de Priam et d’Anchise, mais deux cents maisons en bois. Mais voici Saratoga, un nom bien américain, dont la célébrité ne date que de la guerre de l’Indépendance. C’est ici qu’en 1777 et pour la première fois les troupes de ligne du vieux monde mirent bas les armes devant les milices du nouveau. Pendant la saison des bains, il y a dans cette ville une affluence considérable de riches familles, qui viennent y passer une partie de l’été. Aussi y voit-on plusieurs immenses hôtels : celui des États-Unis, celui de l’Union, etc. À distance ils ont presque tous une apparence monumentale, qui perd beaucoup à un examen rapproché, car ils ne sont construits qu’en planches, et le faux air de marbre qu’ils ont de loin se change de près en une simple peinture à la détrempe. Dans le voisinage immédiat de chacun d’eux se trouvent des salles de billard, des jeux de boule et des tirs au pistolet et à la carabine. Les rues de Saratoga sont larges, ornées d’arbres et bordées de boutiques bien approvisionnées. À l’entrée d’un vaste jardin, bouillonne sous un petit monument la source dite du Congrès. L’eau en est limpide, tiède, gazeuse et contient beaucoup de soude. On recommande son emploi pour les maladies de peau, les rhumatismes, etc. Dans toutes les villes des États-Unis on expédie d’innombrables bouteilles de cette eau si renommée. Mais les Américains viennent à Saratoga surtout pour danser et monter à cheval. Ces exercices, au dire des médecins, entrent pour beaucoup dans l’effet bienfaisant des eaux minérales.

La ville est entourée de bois, restes de ces forêts vierges ou Cooper a placé la scène de quelques-uns de ses plus beaux romans. Quelques Indiens Mohawks s’y abritent encore sous une couple de tentes en lambeaux et de misérables cabanes. Ces Indiens ont des traits fort grossiers, le teint et la peau d’un rouge brun foncé, mais ils sont en général de haute taille. Ils vendent des fruits et quelques ouvrages en perles dont les dessins ne manquent pas d’originalité.

Dès le matin du 2 septembre, j’étais à Whitehalle, petite ville pittoresque à l’extrémité sud du lac Champlain. Un bateau à vapeur y chauffait, prêt à partir, aussi grand que ceux de l’Hudson, mais bien mieux décoré. Son premier étage est occupé par un immense salon orné de lustres dorés, de glaces superbes, garni d’un riche mobilier en palissandre et même d’un piano. Un tapis moelleux étale ses jolis dessins sous les pieds des voyageurs. Les étagères sont garnies de Bibles américaines En dépit de sa magnificence, ce steamer est très-modéré dans ses tarifs. Quinze francs pour la traversée complète du lac Champlain, trajet de onze heures environ, et deux francs cinquante centimes pour chacun des trois repas que l’on fait dans cet intervalle. La salle à manger, placée sous le pont, contient une table de deux cents couverts ; mais, comme tous les voyageurs ne peuvent y trouver place à la fois, on est forcé de servir deux ou trois repas successifs, suivant le nombre des passagers.

Les plus pressés forment un premier cercle, serré autour des chaises, attendant patiemment le signal de se mettre à table. Les dames et leurs cavaliers font toujours partie de cette première fournée, car aux États-Unis on a la plus grande déférence pour le beau sexe. Dès que les privilégiés se sont assis, le second cercle des voyageurs se resserre autour d’eux, prêts à occuper leurs siéges, aussitôt qu’ils deviendront vacants. Tout le menu du repas est étalé sur la table. Chaque convive se sert lui-même, ou bien donne son assiette à un domestique en lui désignant le morceau qu’il désire. On n’a pas comme en Angleterre la peine de servir ses voisins. L’usage américain est fort approuvé des paresseux et des gourmands, qui désirent éviter tout dérangement et toute perte de temps. On sert fort rarement du potage,