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leurs habitations et de leur genre de vie, des orangs-outangs et des castors. On connaît leurs habitations, ils ne vivent point en tribus, mais par familles, car on ne peut pas appeler tribu une réunion d’une dizaine d’individus au maximum.

J’ai vu beaucoup de sauvages et même d’anthropophages, j’en ai vu dont le territoire n’avait jamais encore été foulé par des étrangers (ceux de l’île Rossel, archipel de la Louisiade[1]), en bien ! nulle part je n’ai vu d’hommes aussi misérables, aussi ignorants, aussi grossiers que les Pêcherais qui pourtant, soit dit en passant, se contentent de la chair des animaux et respectent celle de leur prochain.

Si maintenant je les compare, au point de vue purement physique, aux Patagons, je dirai que leur taille est moins élevée, qu’ils sont moins bien découplés, moins fortement musclés. Ils sont gros mais plutôt obèses que riches en système musculaire. Leur peau m’a paru un peu plus brune que celle des Patagons. Ils ont même chevelure, même forme générale de la tête, mais leurs pommettes sont plus saillantes, leur front plus ingrat, le nez plus épaté, la dépression nasale inter-orbitaire plus marquée. Leur carrure est forte ; ils sont trapus. Dans l’une et l’autre race la différence de stature entre les deux sexes n’est pas aussi marquée que dans la nôtre. En somme, ces deux variétés anthropologiques ont un grand nombre de points communs, et quoique aujourd’hui parfaitement distinctes semblent remonter à la même souche.

Toutes deux réclament à un degré différent les lumières de la civilisation, et, si, ce que je n’ose espérer, la relation que je viens d’offrir au public, pour si imparfaite qu’elle soit, pouvait intéresser en leur faveur quelques-uns de ces champions que l’Europe chrétienne envoie de par le monde civiliser les barbares, j’estimerais ce succès comme le plus précieux et le plus noble, et je m’imaginerais que si le lecteur n’avait rien gagné à ma prose, les Pécherais et les Patagons n’y auraient rien perdu.

V. de Rochas.




VOYAGES DANS L’AMÉRIQUE SEPTENTRIONALE,

PAR M. L. DEVILLE.




ÉTATS-UNIS ET CANADA.
TEXTE ET DESSINS INÉDITS.
1854-1855


Départ de Liverpool. — Bancs de glace. — Halifax. — Boston. — La Société de tempérance. — Le musée. — Monument de Bunker-Hill. — Les magasins de cercueils. — Le théâtre. — Le chemin de fer de l’ouest. — Albany. — L’Hudson et ses bords.

Je venais de parcourir l’Inde depuis Ceylan jusqu’à l’Himalaya. Bénarès, Agra, Delhi, Lahore m’avaient présenté l’aspect de villes bien déchues de leur antique grandeur, se transformant sous la domination anglaise et perdant leur caractère hindou. Rome, Athènes, Jérusalem, Balbec, Damas, Thèbes avaient déroulé sous mes yeux de magnifiques ruines, traces monumentales de la civilisation ancienne. Paris, Londres, Berlin, Vienne, Saint-Pétersbourg m’apparaissaient comme l’expression du présent. À Boston, à New-York, à la Nouvelle-Orléans, je devais contempler les merveilles du vieux monde fécondant le nouveau, entrevoir l’avenir, juger de ses promesses et peut-être aussi de ses menaces ; je résolus de traverser l’Atlantique.

Le 10 juin 1854, je montais à bord du Canada, qui partait de Liverpool pour Boston. Notre bateau à vapeur, malgré ses vastes proportions, pouvait à peine contenir tous les passagers qui se présentaient. Un grand nombre durent attendre le prochain départ d’un autre bâtiment anglais de la compagnie Cunard.

En sortant du dock du Prince, l’un des plus larges de Liverpool, nous fûmes poussés rapidement par la marée à l’embouchure de la Mersey. Un vent assez vif agitait violemment les vagues du canal Saint-Georges. Pendant deux jours une grosse mer nous secoua sur les côtes d’Irlande ; puis l’océan Atlantique s’adoucit, et ses longues lames nous portèrent rapidement jusqu’aux abords du banc de Terre-Neuve.

On aperçoit alors les masses énormes de glaces flottantes, qui affectent différentes formes. Tantôt elles s’élèvent au-dessus de la mer en obélisques aigus ; tantôt elles forment des monticules neigeux qui atteignent cinquante mètres de hauteur. Leurs blanches parois offrent çà et là les beaux reflets bleu d’azur qu’on admire dans les crevasses de glaciers. Ces îles de glace poussées par le vent descendent du pôle à la rencontre des eaux chaudes de l’équateur qui les désagrègent et les fondent. Elles se rapprochent assez rapidement de notre vapeur.

À peu de distance, nous remarquons plusieurs colonnes d’eau, qui s’élèvent à sept ou huit mètres au-dessus du niveau de la mer. Elles nous signalent le voisinage de baleines qui disparaissent promptement à l’horizon.

  1. Nous publierons prochainement le récit très-dramatique d’un naufrage et de ses suites à l’île Rossel, par M. V. de Rochas.