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ne nomme pas. — Peut-être manque-t-il quelque chose de plus encore, l’argent

Sa position, son assiette sont cependant bien favorables. Outre sa situation sur un canal qui fait communiquer les deux grands océans, sur la route de Valparaiso et de San-Francisco, canal qui sera de plus en plus fréquenté au fur et à mesure de l’extension de la marine à vapeur, il a pour champ d’exploitation un excellent terrain, une terre éminemment propre à la culture des céréales qui prospéreraient sous son climat, à l’élève des bestiaux qui y trouveraient de gras pâturages. Tous les arbres fruitiers de la zone tempérée de l’Europe croissent à souhait dans le jardin d’acclimatation du gouvernement.

Hélas ! jusqu’à présent, la pomme de terre et les choux sont à peu près les seules plantes qu’on y cultive et en très-petite quantité. Aussi, le navigateur doit-il bien savoir que s’il a des provisions à donner il peut s’adresser à cette colonie, mais qu’il n’a ni commerce ni ravitaillement à y aller chercher. La presque totalité des habitants, au nombre de trois cents aujourd’hui, y vivent de la ration du gouvernement ; les quelques autres y végètent misérablement et au jour le jour.


Climatologie du détroit de Magellan. — La véritable taille des Patagons et des Fuégiens.

J’ai déjà parlé de la climatologie du détroit de Magellan ; quelques mots me paraissent encore nécessaires sur cet objet.

Toute l’étendue du détroit ne jouit pas de conditions météorologiques identiques, autrement dit d’une température égale et d’une même distribution des pluies, etc. La moitié orientale est bien plus favorisée que l’autre ; aussi la position de la colonie de Punta-Arena est-elle encore sous ce rapport très-heureuse.

Cela tient à la configuration et à la constitution du sol, si différentes à l’est et à l’ouest du cap Froward qui partage le détroit en deux parties à peu près égales. En effet, du cap des Vierges, extrémité orientale, au Port-Famine, s’étendent les plaines sablonneuses ou argilo-sablonneuses et des ondulations peu considérables. Puis les côtes s’élèvent, le sol se hérisse progressivement ; à Saint-Nicholas, le pays est encore beau, heureusement partagé, mais à peu de distance l’aspect et la constitution du sol changent complétement. Ce ne sont plus que montagnes abruptes et trop souvent arides ; aux terrains sédimentaires ont succédé les roches de cristallisation volcaniques ou non.

Les observations personnelles que j’ai faites lors de mon deuxième passage m’ont permis de constater que le climat moyen du littoral patagonien, compris entre Punta-Arena et Saint-Nicholas, ne diffère pas beaucoup de celui de notre Bretagne.

Le 7 décembre, au matin, nous dîmes adieu à Punta-Arena, et le surlendemain nous sortions du détroit. Entre le cap Gregory et le cap des Vierges, nous passâmes devant le navire anglais dont j’ai signalé précédemment le naufrage, Il avait été poussé par le vent et par la vague si près de la grève qu’on pouvait y aller sans le secours d’une embarcation ; aussi vîmes-nous une troupe de Patagons occupés à opérer à leur manière le sauvetage de la cargaison. Ce mot de Patagons qui revient ici et qui, comme je l’ai dit, signifie grands pieds[1], me rappelle les deux nouveaux échantillons de cette race que j’ai vus à mon second passage à Punta-Arena. C’était un cacique des environs et sa femme, qui étaient venus rendre leurs hommages au gouverneur et par la même occasion régler quelques petites affaires. Ces deux personnages étaient vêtus de pied en cap à l’espagnole, sans doute par la munificence de celui qu’ils venaient visiter. Leur taille n’avait rien d’extraordinaire, et tout ce que l’on pouvait dire c’est que le monsieur était un bel homme et la dame un beau brin de femme. Les attributs d’une bonne et forte santé, c’est-à-dire des joues bien rouges, un embonpoint notable sans être gênant, joints à une large carrure, à des membres fortement tournés, à une charpente solide en un mot, donnaient à penser que si ces caractères étaient des attributs généraux de la race, ce qui nous fut affirmé, cette race était réellement plus forte que la nôtre. Telle est aussi l’opinion de M. Alcide d’Orbigny, lequel a résumé dans les lignes suivantes des observations qui réduisent à leur juste valeur les exagérations si malencontreusement répandues et si bénévolement acceptées jusqu’à ces derniers temps :

« Pour moi, dit-il, après avoir vu sept mois de suite beaucoup de Patagons de différentes tribus et en avoir mesuré un grand nombre, je puis affirmer que le plus grand de tous n’avait que cinq pieds onze pouces métriques français, tandis que leur taille moyenne n’était pas au-dessous de cinq pieds quatre pouces, ce qui est, sans contredit, une belle taille, mais pas plus élevée que celle de quelques-uns de nos départements. Cependant je remarquai que peu d’hommes étaient au-dessous de cinq pieds deux pouces. Les femmes sont presque aussi grandes et surtout aussi fortes.

« Ce qui distingue surtout les Patagons des autres Américains et des Européens, ce sont des épaules larges et effacées, un corps robuste, des membres bien nourris, des formes massives et tout à fait herculéennes. Leur tête est grosse, leur face large et carrée, leurs pommettes un peu saillantes, leurs yeux horizontaux et petits. »

J’ajouterai, pour ma part, que leur teint est brun, leurs cheveux très-noirs, gros et plats ; leur barbe rare, la physionomie des hommes sérieuse, mâle et fière ; celle des femmes douce et bonne ; que leurs traits sont réguliers, mais épais ; que les membres inférieurs sont moins longs relativement aux proportions du tronc que dans notre race ; que les femmes ont les mains délicates et les pieds petits.

Au dire du gouverneur de Punta-Arena, ces Indiens sont doux et dociles ; ils viennent de temps en temps lui rendre visite en grand nombre. Ces rapports de bonne amitié n’ont pas empêché toutefois quelques conflits

  1. Magellan donna ce nom à la population parce que le premier homme qu’il rencontra avait de longues et larges chaussures faites en peau de guanaco.