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sion de physionomie langoureuse qui ne leur messeyait point. Bref, les jeunes Pêcheraises ne sont pas mal, à mon goût. Je parle ici en général, de même que le portrait précédemment esquissé ne s’applique pas seulement à nos trois hôtes du moment, mais est collectif pour tous ceux que nous avons vus.

Les femmes sont donc mieux que les hommes, à l’inverse de ce que j’ai observé ailleurs. Je ne dis pas en France ! Elles sont du reste fortes et presque aussi grandes que les hommes, à poitrine fortement proéminente, conique et non globuleuse. Les personnages étant connus, assistons maintenant à la petite représentation qu’ils veulent bien nous offrir.

Mis en gaieté par le biscuit et le pain fournis de façon à satisfaire complétement leur appétit, ils ne tardèrent pas à prendre des familiarités avec nos matelots. Le chef gardait assez bien sa dignité, mais ses deux acolytes folâtraient sur le pont, affublés de chemises, vestes, pantalons et souliers percés ; Ces derniers meubles étaient ceux qui leur paraissaient les plus drôles, aussi battaient-ils de la semelle comme des maîtres d’escrime. On coiffa l’un d’eux du couvercle en cuivre de l’archipompe, et on lui mit une glace devant la face. La stupéfaction fut le premier sentiment que lui fit éprouver le phénomène inconnu de la réflexion du miroir ; puis, collant son nez sur la glace comme pour embrasser l’image, il inclinait la tête à droite, à gauche, dans tous les sens, étonné de voir l’être fantastique qu’il avait sous les yeux opérer les mêmes mouvements. Il voulut tenir la glace entre ses mains, et alors il se mirait et retournait la glace brusquement, mais ne voyait rien par derrière. Il prit alors le parti de saisir le miroir d’une seule main, et tout en fixant l’image de porter la main libre derrière la glace pour saisir le singulier individu qu’il avait en présence. À la stupéfaction première avait succédé une joie folle qui, arrivée à son paroxysme, fut couronnée par des entrechats.

Port-Galant, au fond de la baie Saint-Nicholas. — Dessin de E. de Bérard d’après l’atlas de Dumont d’Urville.

Quelqu’un voulant chercher à savoir si ces sauvages reconnaissaient un être suprême, se prosterna en montrant le ciel. Chacun d’eux fit à ce sujet un geste et une réflexion, et l’un d’eux, montrant aussi le ciel, entama une mélodie qui ne manquait pas d’un certain charme. Avaient-ils compris la question ? Leur chant était-il un hommage à la divinité ? En un mot ces sauvages partagent-ils les dogmes des peuplades américaines mieux étudiées et plus connues qui croient à des esprits, à l’âme du monde, etc. ? C’est ce qu’il ne m’est pas permis d’affirmer.

Les femmes portaient en collier des coquilles et des morceaux d’os travaillé ; était-ce un ornement ou des amulettes ?

Pour acquérir la connaissance la plus complète possible de l’industrie de ces Indiens, nous fîmes vider la pirogue de tous les objets qu’elle contenait, et nous vîmes deux lances faites l’une d’un os (de phoque probablement), effilé et dentelé sur un des côtés, assujetti par une suture à l’extrémité d’un bâton de deux mètres environ de longueur ; l’autre ne différait que par la forme de l’extrémité osseuse qui était taillée en pique. Ces armes servent probablement à attaquer les phoques, animaux stupides qui venant souvent se reposer sur la glace ou sur la grève sont alors très-facilement attaquables.

V. de Rochas.

(La fin à la prochaine livraison.)