maisons de fleurs artificielles, dans d’autres de copeaux artistement roulés en spirale, ou bien encore de petits vases de verre remplis de sel. Les fortouchkas[1] sont garnis de lisières neuves ; c’est l’occasion d’un nettoyage à fond dans toutes les maisons, le froid peut venir : à sa première apparition, les poêles seront allumés et une chaleur de printemps — lorsqu’il est chaud — régnera toujours dans l’intérieur des maisons jusqu’au moment où l’on ouvrira de nouveau les fenêtres, ce qui n’aura lieu que lorsque la dernière neige aura disparu sous les rayons du soleil, lorsque la dernière glace du lac Ladoga aura été se fondre dans les eaux de la Baltique.
Le poêle en Russie fait partie de la construction de la maison, ainsi que nos cheminées ; chaque pièce d’un appartement possède le sien. Le système consiste en ceci : échauffer la plus grande surface possible d’une matière qui conserve la chaleur. Le problème a été résolu ; un ingénieux système de conduits faits de briques superposées force la flamme à parcourir un long espace avant de rencontrer une issue ; la fumée sort presque froide, rien de la chaleur que dégage le bois en combustion n’est perdu. L’aspect d’un poêle serait celui d’une grande armoire faisant saillie le long du mur ; il est recouvert de faïences quelquefois richement ornementées. Le foyer est placé à trente centimètres environ au-dessus du plancher ; une fois par jour on allume le feu, une brassée de bouleau est suffisante à entretenir la chaleur pendant trente heures environ. Lorsque le bois est réduit en braise, on l’amène au moyen d’un fourgon sur le devant de l’âtre, on ferme la porte, on bouche au moyen d’un couvercle l’orifice des conduits de chaleur, et jusqu’au lendemain on n’a plus à s’en occuper. Dans quelques salons d’une vaste étendue, il y a deux poêles ; dans ce cas, ils sont placés en angles coupés. Dans le palais de Peter-Hoff, j’en ai remarqué quelques-uns ornés de faïences avec des dessins en camayeux de cette couleur bleue qu’affectionnent les Chinois et que l’on a si heureusement imitée dans les Pays-Bas. Ces poêles sont d’un style charmant, et il serait à désirer que l’on y revînt dans l’ornementation des maisons nouvellement construites.
J’attendais la neige sans inquiétude, mais non sans impatience : il me tardait de jouir du plaisir que me promettait le traînage. J’étais rentré un soir par une petite pluie fine que chassait le vent de la Baltique ; le pavé retentissait sous le roulement des nombreux équipages qui sillonnent les rues de Saint-Pétersbourg. Le lendemain au matin tout était silence : la neige recouvrait de son épais manteau d’une blancheur éblouissante les toits des maisons, le sol de la rue ; quelques heures avaient suffi à opérer ce changement. Les drojkys avaient disparu, le traîneau les avait remplacés. Ce n’était cependant qu’un avant-coureur de l’hiver, deux jours plus tard les rues retentissaient de nouveau du bruit des roues, la neige avait disparu laissant à sa place une boue liquide dont on ne sentait cependant pas l’inconvénient sur les larges trottoirs dallés si bien entretenus par les dvorniks[2].
Mais bientôt l’hiver s’annonça plus sérieusement : quelques glaçons, suivis peu après de beaucoup d’autres, commencèrent à suivre le courant de la Néva d’où tous les navires avaient disparu, abrités qu’ils étaient dans le vaste bassin de Kronstadt, ou derrière de solides estacades. Bientôt ces glaçons devinrent plus nombreux ; on les entendait se choquer l’un contre l’autre avec un bruit sourd, et les bords de la rivière commençaient à se prendre ; les arches du pont Nicolas les plus rapprochées de la terre furent d’abord obstruées, bientôt après le cours du fleuve sembla ralenti par le poids des énormes blocs de glace qu’il charriait, jusqu’au moment où se soudant l’un à l’autre ils ne formèrent plus qu’un chaos immobile, semblable à ces glaciers qui descendent des hauts sommets des montagnes vouées aux neiges éternelles.
Quatre ponts mettent en communication les deux rives du fleuve : le pont Nicolas, le pont de l’Amirauté, le pont d’Été et celui de la Liteyné. Le premier seul est en fer et en granit, les autres sont établis sur des pontons. À la première glace qui apparaît, on largue les amarres d’un côté, et cette masse énorme obéissant au courant vient tout entière se ranger sur un des bords ; lorsque la rivière est définitivement arrêtée, de nombreuses escouades de soldats du génie, cassant la glace, rétablissent les ponts à leur place primitive. Mais outre ces communications habituelles, on trace sur la glace des chemins qui traversent la rivière en divers sens. De jeunes arbres verts récemment coupés servent de jalons à ces communications improvisées. On déplace quelques pierres du parapet, on établit un plancher en pente qui va du quai au niveau de la rivière glacée ; la neige recouvre bientôt le tout, et les voitures sillonnent la Néva, là où quelques jours auparavant des bateaux de plaisance promenaient les oisifs, là où le commerce déployait toute son activité. Des poteaux plantés dans la glace supportent des lanternes qui commencent à briller dès que le jour disparaît ; des cantonniers entretiennent ces chemins, ces rues, allions-nous dire, qui sont fréquentées nuit et jour ; un pont volant, pour les piétons seulement, est établi devant la porte principale de la forteresse. Il est composé de madriers reposant sur la glace supportant un tablier de planches, et garni d’une balustrade ; il est également éclairé. Ces divers travaux sont exécutés en peu de jours, — tout est prévu d’avance, — aussitôt que la surface du fleuve est devenue unie comme un marbre parfaitement poli.
Car les anfractuosités causées par l’amoncellement des glaces disparaissent bientôt : deux causes y contribuent. Aux premiers froids succèdent des dégels successifs ; on
- ↑ Le fortouchka est un couple de carreaux mobiles se correspondant et placés au milieu d’un battant d’une des fenêtres. Chaque pièce d’un appartement en possède un.
- ↑ Drovnik, littéralement l’homme de la cour, dvor. Ce sont les portiers chargés de l’entretien de la propreté des maisons. Chaque dvornik a des aides : la nuit, quelque temps qu’il fasse, il y en a un de garde sous la porte cochère. Ils doivent enlever à toute heure la neige qui tombe sur les trottoirs ; ils sont armés d’un bâton ferré qu’ils doivent de temps en temps laisser retomber bruyamment sur les dalles, comme preuve de vigilance.