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Nous passons par Eski-Cheher et nous traversons le mont Olympe. Nous y rencontrons un compatriote, un Français qui s’occupe de l’exploitation des forêts. Il choisit les bois les plus utiles, les abat, les débite, et les transporte ainsi préparés à la côte, ou des vaisseaux les emportent en France. Les noyers forment la principale branche de son commerce : il les scie en lames minces pour le placage, et, malgré son activité, il ne peut suffire aux commandes. Pendant l’hiver, la neige et le mauvais état des chemins arrêtent ses travaux. Il a organisé, pour occuper ses loisirs, des chasses au sanglier. Dans cet animal immonde pour les Turcs, il utilise tout, poil, peau et chair qu’il fume ou dont il fait diverses préparations. La saison d’hiver paye aussi largement ses peines que les beaux jours de l’été. Notre compatriote est sur le chemin d’une belle fortune, malgré l’active concurrence de quelques Anglais établis depuis peu dans le pays, et qui marchent dans la même voie.

En sortant de la chaîne de l’Olympe nous arrivons à Brousse.

Guemlek. — Dessin de Grandsire d’après M. Bourlier.

À huit heures de marche de Brousse est le port de Guemlek, détruit depuis notre voyage par un violent incendie, il y a deux ans. C’était là que le bateau de l’intendance devait venir nous prendre pour nous ramener à Constantinople. En attendant son arrivée, nous visitons la ville qui nous offre une curieuse réunion d’antiquités. J’y remarque surtout des bas-reliefs de marbre sculptés avec un art infini. Les habitants spéculent sur ces objets qu’ils vendent à des prix fous aux voyageurs anglais. Ils les cachent dans leurs caves, et ne vous les montrent qu’avec une mystérieuse réserve bien propre à piquer la curiosité des amateurs. J’offre quatre-vingts francs d’une tête de faune, à peine de la grosseur du poing, et on refuse de me la donner en me disant que l’année précédente un Anglais en avait offert trois cents francs sans pouvoir l’obtenir. Devant un argument aussi péremptoire, il ne me reste qu’à me résigner, en attendant que le ciel m’envoie une opulence égale à celle d’un lord ou d’un nabab.

Le lendemain matin, le bateau à vapeur nous emporte, et le 20 juillet nous rentrons à Constantinople, après une exploration de près de deux cents lieues en trente-deux jours.

J. E. Dauzats.