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cès de travaux qu’on leur impose, les privations qui sont encore plus souvent leur partage que celui des hommes, épuisent rapidement la vigueur de leur constitution.

Les hommes vieillissent moins vite, mais pourtant peu d’entre eux parcourent une longue carrière. Avec des gens qui ne savent pas compter les années et qui, par suite, ne connaissent pas leur âge, il est difficile d’entreprendre aucune étude positive sur la longévité. Voici un fait qui donne à penser que parmi eux les extrêmes vieillesses sont rares.

Les missionnaires ont connu à Balade, en 1847, un homme né pendant le séjour de Cook en ce pays, époque mémorable pour les naturels. Ce vieillard, le plus décrépit qu’ils aient jamais vu en Calédonie, et auquel ils eussent volontiers donné quatre-vingt-dix ans, était le patriarche de sa tribu et des tribus environnantes.

Or, Cook étant venu à Balade en 1774, cet homme n’avait que soixante-treize ans !

Bref, il est à peu près certain que la longévité et la moyenne de vie sont moindres chez les Calédoniens que chez les peuples civilisés.

Les Néo-Calédoniens ont, comme tous les sauvages, les sens de la vue et de l’ouïe d’une exquise finesse, et ils n’auraient pas à craindre la comparaison avec les types de Cooper. Ils sont agiles ; leurs jambes musculeuses semblent taillées pour la course. Ils sont capables, à un moment donné, de déployer une force aussi considérable que pourraient le faire nos ouvriers et nos manœuvres, mais elle est de peu de durée.

Nouvelle-Calédonie : établissement de l’Anglais Paddon. — Dessin de E. de Bérard d’après une photographie.

Dans les expéditions de guerre qui se sont prolongées pendant plusieurs jours, on a remarqué que nos auxiliaires indigènes étaient épuisés de fatigue, alors que nos soldats tenaient encore très-bien la campagne. Cependant ces derniers étaient chargés d’un équipement que les premiers n’avaient point. J’expliquerais volontiers l’infériorité dynamique des Néo-Calédoniens, ou du moins leur impuissance à supporter longtemps les fatigues par leur genre de nourriture. Ils n’absorbent, en effet, guère que des aliments sucrés ou féculents et fort peu d’aliments azotés, c’est-à-dire beaucoup d’aliments de respiration et fort peu d’aliments plastiques ou sanguifiables. Leur nourriture est donc peu convenable pour l’entretien des forces, pour la résistance physique. Ils sont dans le cas d’une machine qu’on bourrerait de combustible en lui épargnant outre mesure l’eau qui donne la vapeur génératrice de la force et du mouvement.

La quantité d’aliments que ces sauvages sont capables d’ingurgiter en un seul repas est extraordinaire, trois fois plus considérable que celle qu’un Européen pourrait consommer ; aussi doivent-ils avoir l’estomac plus dilaté que le nôtre, ce que nous n’avons pas eu l’occasion de vérifier.

Cette aptitude fonctionnelle tient à diverses causes : d’abord à la nature de leur alimentation habituelle, qui doit être ingurgitée en quantité d’autant plus considérable qu’elle est moins nutritive ; en second lieu, à l’instabilité de leurs ressources. Le Calédonien sait bien quand il mange, mais il ne sait pas positivement quand il mangera ; aussi profite-t-il du mieux qu’il peut de l’occasion qui se présente de se remplir l’estomac. Les femmes apportent-elles ample moisson de fruits et de racines, la pêche a-t-elle donné, on fait ripaille sans songer au lendemain. Y a-t-il, au contraire, pénurie complète, on se serre le ventre en attendant meilleure occasion, et quand nouvelle aubaine se présente, la voracité n’a d’égale que la patience avec laquelle on a supporté la faim. Il n’est pas très-rare, en effet, que les indigènes restent tout un jour sans manger, et, dans les temps de disette, les jeûnes sont bien plus fréquents et plus longs.

Guidés par une appétence instinctive, les Calédoniens sont très-friands de chair, sentant bien qu’ils puisent dans cet aliment des forces que leur nourriture habi-