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enfermés dans un grand clos, et bientôt l’air retentit de leurs hennissements. Retenus derrière les clôtures et la tête tristement passée au-dessus des barrières, ils semblaient envoyer leurs adieux à leurs amis qui, rendus à la liberté, retournaient au galop vers leurs pâturages.

Je voudrais pouvoir vous dépeindre l’expression de gaieté, d’énergie, de liberté qui se lisait sur chacun de nos visages. En Europe, nos gens auraient tranquillement amené nos chevaux dans nos écuries ; à Yéring, c’était nous-mêmes qui nous chargions de les réunir, à l’aide de nos grands fouets, à travers la plaine étincelante de soleil, et le petit troupeau conquis restait là, hennissant et la crinière au vent, tous propres et brillants comme le sont les animaux nourris d’herbe seulement, et n’attendant plus que leurs brides et leurs selles qu’apportaient nos domestiques.

On était rentré au cottage pour l’heure du luncheon, et on discuta l’emploi de la soirée.

À six milles environ de nos habitations, en remontant la rivière, nous avions un endroit fameux pour la pêche, c’était une presqu’île formée par un double circuit de la Yarra, déjà baptisée du surnom de Pic-nic point. Notre break fut amené attelé de quatre chevaux ; mon frère, prenant les rênes en main, partit en avant, emmenant les dames, et nous suivîmes à pied avec nos fusils, pour gagner en chassant le lieu du rendez-vous.

Une partie de pêche à la ligne dans la province de Victoria. — Dessin de K. Girardet d’après l’album de M. de Castella.

En été, nos plaines sont couvertes de cailles, tellement qu’un adroit chasseur peut aisément en tuer trente par heure ; mais, comme nous étions déjà en automne, il ne restait plus que quelques retardataires. En revanche, déjà les premières bécassines étaient arrivées, et nous abattîmes des unes et des autres de quoi composer des brochettes bien fournies.

À notre arrivée à Pic-nic-point, nous trouvâmes nos jeunes dames assises sur l’herbe et groupées ensemble sous un grand gommier qui surplombait la rivière. L’une d’elles tenait en main un volume de Longfellow et faisait la lecture aux autres, tandis que mon frère recueillait du bois mort pour chasser les moustique sen allumant du feu, et que Mme A… présidait au déballage de nos provisions. Mme B…, étant la dernière arrivée dans la colonie, tenait à prendre le premier poisson, aussi elle était déjà la ligne en main. Malgré l’avis répété qui lui était donné, que le poisson de la Yarra ne mordait pas avant le coucher du soleil, elle fouettait sans cesse la rivière de son amorce inutile.

En Europe, les pêcheurs à la ligne se retirent lorsque la nuit arrive. En Australie, au contraire, dans plusieurs rivières, car toutes ne sont pas peuplées des mêmes poissons ni soumises aux mêmes lois, c’est alors qu’ils se mettent en campagne. Tant que le soleil est au-dessus de l’horizon, on ne prend pas le plus petit poisson ; mais,