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que, pendant la crise des Indes occidentales, elle a tenu bon et continue à produire. »

L’île n’a que vingt milles de long sur douze environ de large, et la population par hectare y est plus élevée que dans la Chine elle-même ; l’île compte cent cinquante mille habitants, plus que les immenses plaines de la Guyane. Les nègres de Barbados sont très-intelligents, en partie sans doute parce qu’ils sont constamment appliqués au travail. Les Bimo, c’est le nom que se donnent les habitants blancs, gagnent beaucoup d’argent, bien qu’ils emploient des procédés bien plus grossiers que ceux de Demerara, de Cuba, de la Trinité, et même de la Jamaïque. Ils ne conservent la fertilité de leurs champs qu’à l’aide du guano ; la terre est tellement épuisée que les cannes coupées ne repoussent plus aussi aisément que dans les autres Antilles ; dès la deuxième année, le rendement diminue d’une manière très-sensible. L’habitude de brûler la magasse ou canne écrasée et de ne rien rendre au sol commence, sur ce point, à faire sentir ses effets. « Que dirait-on, en Angleterre, de quelqu’un qui brûlerait sa paille ? À cela on dira que l’agriculteur anglais n’est pas dans la nécessité de brûler sa paille ; il n’a pas besoin de faire cuire son froment, ni ses moutons ou ses bœufs, tandis que le fermier de Barbados est tenu à faire cuire sa récolte ; mais pourquoi le fait-il avec le résidu même de ce que lui fournit sa terre ? Il ne pourrait peut-être pas mettre de charbon directement sous ses chaudières, mais il pourrait les chauffer avec de la vapeur, ce qui reviendrait au même. Tout ceci s’applique non-seulement à Barbados, mais à la Guyane, à la Jamaïque et aux autres îles. Partout on brûle la magasse ; mais nulle part l’engrais n’est aussi nécessaire qu’à Barbados ; on ne peut pas y mettre en culture du sol vierge, quand on en a besoin, comme à la Guyane. »

« Trinidad est la plus méridionale des Antilles, et se trouve en face du delta de l’Orénoque ; elle étend deux pointes semblables à deux cornes vers le continent, de façon à former une sorte de petite mer intérieure comprise entre la terre ferme et l’île, qui se nomme le golfe de Paria. C’est dans cette baie que sont situées les deux villes, Port-d’Espagne et San Fernando. Les détroits par où on arrive de l’Océan dans le golfe sont extrêmement pittoresques, surtout du côté de Port-d’Espagne. Cette ville elle-même est grande, très-bien située, avec des rues à angle droit, comme on le voit dans toutes les villes neuves. Tout a été préparé pour une population beaucoup plus grande que celle qui y réside actuellement, et on y voit à présent beaucoup de vides et de lacunes. Mais le temps viendra, et cela bientôt, où ce sera la meilleure ville des Indes occidentales anglaises. Il y a aujourd’hui à Port-d’Espagne un esprit d’entreprise commercial bien différent de la somnolence de la Jamaïque et de l’apathie des petites villes. »

L’intérieur même de l’île est très-peu connu, et il n’y a qu’une très-petite partie qui soit cultivée ; tout récemment on a fait une reconnaissance scientifique, et l’on prétend y avoir trouvé beaucoup de charbon, mais les résultats de cette exploration n’ont pas encore été publiés. On sait que cette colonie a, elle aussi, appartenu jadis à la France ; elle en a conservé le langage, les manières et la religion. Il y a un archevêque catholique dans l’île ; le gouvernement anglais lui paye des appointements, mais il ne les réserve pas à son propre usage et les emploie à des œuvres de charité.


La Nouvelle-Grenade. — Sainte-Marthe. — Carthagène. — Le chemin de fer de Panama.

Après avoir touché encore une fois à Saint-Thomas, s’y être promené une fois de plus au milieu des Espagnols, des Danois, des nègres, des Yankees, population mêlée, médiocrement morale et intéressante, que l’amour de l’argent amène dans la station principale de la Compagnie Royale anglaise, M. Trollope partit pour la Nouvelle-Grenade et l’isthme de Panama. Ses observations sur ces régions, les moins connues peut-être du continent américain, méritent d’être rapportées fidèlement.

« La Nouvelle-Grenade est, comme on sait, la plus septentrionale des républiques de l’Amérique du Sud ; c’est la plus rapprochée de l’isthme dont elle comprend une partie considérable, puisque le territoire du golfe de Darien et le district de Panama sont compris dans les limites de la Nouvelle-Grenade.

« Il n’y a pourtant pas longtemps que la Nouvelle-Grenade formait une partie seulement de la république de la Colombie, dont Bolivar fut le héros. Comme les habitants de l’Amérique centrale trouvèrent nécessaire de diviser leurs États en plusieurs républiques, ainsi firent ceux de la Colombie. Les héros et patriotes de Caracas et Quito ne voulurent pas consentir à être gouvernés par Bogota ; et d’un État on en fit trois : la Nouvelle-Grenade, dont la capitale est Bogota ; Venezuela, dont la capitale est Caracas, à l’est de la Nouvelle-Grenade, et la république de l’Équateur, située au sud, avec Guayaquil comme port principal sur le Pacifique, et Quito, comme capitale. Le district de Colombie était un des plus splendides apanages du trône d’Espagne à l’époque où ces apanages étaient dans leur plus grand éclat. La ville et le port de Carthagène, sur l’Atlantique, étaient admirablement fortifiés, comme aussi Panama, sur le Pacifique. Les villes d’ordre inférieur étaient populeuses, florissantes et pour la plupart assez civilisées. »

Voyons pourtant ce qu’elles sont aujourd’hui. Voici la description de Sainte-Marthe, le premier port où descendit M. Trollope :

« Sainte-Marthe est un misérable village, bien qu’on l’appelle une ville, ou nous conservons, par une inconcevable cruauté, un consul anglais et une poste. Il y a une cathédrale du vieux style espagnol, avec l’autel placé, non dans le chœur, mais vers la porte occidentale, et, m’a-t-on dit, un archevêque. Il semble qu’il n’y a aucun commerce dans ce lieu, qui paraît tout à fait mort. Quelques enfants noirs ou presque noirs courent dans les rues à l’état de nudité.

« Tous mes prédécesseurs, ici, sont morts de la fièvre », me dit le consul d’un air de triomphe. Que peut-on dire à un homme sur un sujet si sensiblement