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votre arrivée et vous répondent par un salut général. Puis le maître vous mène dans un coin de la salle, où il veut vous faire asseoir au haut bout, ce dont vous recommencez à vous défendre avec un surcroît de protestations. L’assistance sourit à cet aimable combat, qui prouve, de la part des deux acteurs, une excellente éducation. Enfin, vous prenez place et votre hôte également. Sur votre prière, ce dernier fait un signe à son monde, qui remercie et s’assoit de même. Quand chacun est casé, vous vous tournez d’un air aimable vers votre hôte et vous lui demandez si, grâce à Dieu, son nez est gras. Il vous répond : « Gloire à Dieu, il l’est, par l’effet de votre bonté ! — Gloire à Dieu ! » répliquez-vous.

Ensuite, vous vous inclinez vers le plus proche voisin, dont le rang d’ordre indique assez les droits particuliers à la considération, et, de la même manière, vous vous enquérez si, grâce à Dieu, sa santé est bonne. Sur une réponse qui est toujours affirmative et accompagnée d’un gloire à Dieu, d’un par l’effet de votre faveur, vous passez à un troisième, et ainsi de suite, tant qu’il y a d’assistants, ayant soin toutefois de nuancer votre question de manière à marquer une différence décroissante d’empressement, à mesure que vous descendez vers ceux qui sont placés le plus près de la porte. Là, vous ne faites plus guère de question, et une inclination aimable suffit.

Dans l’Enderoun (appartement intérieur). Costumes d’intérieur et de sortie. — Dessin de M. Jules Laurens.

Cette cérémonie ne laisse pas que de durer quelque temps. Quand elle est finie, vous revenez à votre hôte, et il n’est pas mal de lui redire avec un air de tête tout à fait caressant, et comme si vous ne l’aviez pas vu depuis quinze jours : « Votre nez est-il gras, s’il plaît à Dieu ? » Ce à quoi il réplique du même ton : « Il l’est, grâce à Dieu, par l’effet de votre miséricorde ! » J’ai vu répéter la même question trois et quatre fois de suite par des gens très-polis, et j’ai entendu citer avec éloge l’exemple du feu Iman Djuiné, ou chef de la religion à Téhéran, qui, lorsqu’il allait chez quelques grands seigneurs, ne manquait jamais de demander des nouvelles de leur nez, non-seulement au maître du logis, mais encore à tous les domestiques, et ne remontait pas à cheval sans s’être assuré de la façon la plus aimable que le nez du soldat en faction à la porte était tel qu’on pouvait le désirer. Pour ce motif, ce grand dignitaire ecclésiastique était si populaire et si chéri de tout le monde, que sa mémoire est encore vénérée.

Enfin, après l’épuisement de cette question, il y a un moment de silence, et le maître de la maison y met fin en observant d’une façon générale qu’il est à remarquer que le temps médiocrement beau la veille est subitement devenu admirable, ce qui ne saurait s’attribuer qu’à la fortune étonnante de Votre Excellence. Les assistants ne manquent pas de relever la profonde vérité de cette observation, et quelqu’un se trouvera là pour dire que ce qui est excellent rend excellent tout ce qui l’approche ou l’entoure ; que l’homme éminent en perfection doit être