voisinage une carrière de grandes pierres plates que les paysans appellent des lauzes.
À peine a-t-on dépassé le seuil de cette singulière porte naturelle, que l’on entre dans une petite vallée étroite mais verdoyante, où le ruisseau qui l’arrose, et qui descend des hauteurs de Roche-Colombe, paraît se plaire à folâtrer. On serait volontiers tenté de l’imiter. De jeunes bois taillis couvrent les deux versants qu’ombrageaient jadis des forêts séculaires. Le calme est profond, l’air embaumé : le thym, la lavande, le serpolet abondent sur les rochers où un charmant oiseau, le grimpereau des murailles, aime à faire son nid. Que de lieux obscurs et solitaires ravissent ainsi le voyageur qui voudrait s’y fixer pour longtemps, quelquefois même pour toujours, s’il lui était permis d’y vivre entouré de ceux qu’il aime, mais qui passe, comme le torrent ou le nuage, sans pouvoir s’arrêter au gré de son caprice, emportant avec ses souvenirs la triste certitude de ne jamais les revoir ! Heureusement pour lui les tableaux nouveaux que la nature lui offre incessamment adoucissent l’amertume de ses regrets en lui inspirant d’autres désirs non moins vifs et aussi vite oubliés !
Lorsqu’on est parvenu au sommet de la colline que gravit la route, on traverse un petit plateau cultivé, au delà duquel on voit s’ouvrir devant soi le bassin extraordinaire qui porte le nom de forêt de Saou (on prononce Sou). Ce bassin présente en effet, sur une longueur de douze à treize kilomètres, et une largeur moyenne de cinq à six (j’emprunte ces chiffres à M. Delacroix), la forme d’un immense vaisseau ; à l’extérieur, des rochers à pic en forment la carène ; à l’intérieur, il offre des pentes inclinées, autrefois couvertes d’arbres magnifiques qui lui ont fait donner le nom de forêt. Cette colossale corbeille contient aujourd’hui des habitations, des terres labourables, des prés, d’abondants pâturages et quelques bouquets de bois en décorent l’extrémité exposée au nord ou les hauteurs. Une mine de charbon y a été exploitée sans succès. On n’y pénètre que par deux grands portails naturels qui s’ouvrent, l’un, au nord, du côté d’Aouste, l’autre, au sud, vers le village de Saou ; ces deux portails pourraient se fermer comme les portes d’une ville. Les eaux qui y tombent ou qui y jaillissent y forment le ruisseau de Vèbre, qui en sort par le portail du défilé méridional. De tous les rochers dont elle est entourée, le plus haut, le plus abrupt, le plus déchiré est celui qu’on appelle Roche-Courbe ou des Trois-Becs. De ce rocher on découvre un vaste et curieux panorama.
La forêt de Saou, la plus belle forêt de la Drôme, appartenait autrefois à une abbaye, dont il ne reste actuellement que des ruines insignifiantes. Elle est aujourd’hui possédée presque entièrement par M. Crémieux, avocat au barreau de Paris (voir la gravure de la page 397).