Page:Le Tour du monde - 02.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous entrons dans notre dock avec le calme et la précision qui marquent tous les mouvements du Cahawba. Une troupe de cochers de New-York est réunie sur le quai ; ils ont l’air de gens qui ont volé leurs voitures et leurs chevaux, et qui voudraient voler notre bagage. Pas d’agents de la police en vue. Tout le monde prédit une bataille. Pendant quelques minutes il n’y a d’autre inconvénient que celui de cris violents qui réclament des voyageurs et du bagage ; mais bientôt les cochers se pressent sur le pont, on leur donne l’ordre de reculer ; l’équipage tâche de les repousser, puis on échange des injures et bientôt des coups. L’un des assiégeants, renversé par un coup violent, tombe évanoui et est porté à terre par ses camarades, sur le quai, puis ils reviennent et continuent leurs menaces contre l’équipage. Les officiers du navire sont accoutumés à tout cela, et sont déterminés à se protéger eux et leur équipage, à leurs risques et périls.

Paysage dans l’île de Cuba (Loma de la Givora). — Dessin de Paul Huet d’après F. Mialhe.

Pendant la traversée, nous avions vanté patriotiquement notre pays à plusieurs passagers cubains ; et toutes les comparaisons, jusqu’à présent, avaient été favorables à notre patrie ; mais ici nous n’avions décidément pas l’avantage. Les étrangers s’inquiétaient beaucoup plus que nous. Nous savions qu’il ne s’agissait que d’une rixe pour obtenir une charge, et que tout cela finirait par quelques coups, peut-être par une malle ou deux perdues. Les étrangers voyaient là une insurrection des basses classes. Une vieille dame surtout, qui avait une immense quantité de bagages, était dans un état de trépidation extraordinaire, et n’osait confier ni elle-même ni ses malles aux chances d’un conflit.

Mais c’est l’esprit de notre peuple de se jeter dans des difficultés pour se donner le plaisir d’en sortir. L’affaire est bientôt calmée ; la foule s’éclaircit à mesure que les passagers choisissent leur voiture et quittent le bateau ; une heure ou deux après avoir touché le quai, le pont est silencieux, la machine vomit ses dernières bouffées de fumée ; le capitaine et le lieutenant ont reçu les poignées de main et les adieux de tout le monde ; et la société réunie pendant cinq jours pour ne plus jamais se revoir sur mer ou sur terre, se disperse dans les rues de la grande cité, les uns pour aller vers les collines neigeuses de la Nouvelle-Angleterre, les autres pour se répandre dans le vaste monde du fart west.

Traduit par M. A. Laugel.