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cursions de leurs terribles voisins les Nouers, à se sauver sur le fleuve avec leurs familles et leur mobilier, tant que dure la razzia.

Le 10, les nombreux détours du fleuve, qui avaient presque cessé depuis deux jours, recommencèrent à ralentir notre navigation. Le lendemain, je trouvai sur la rive gauche un grand rassemblement de Nouers, et comme j’entrai en relation avec eux pour un achat de bétail, ils me proposèrent de me réunir à eux pour écraser toutes les autres tribus du Saubat, leur enlever leurs enfants et leurs troupeaux, et partager les profits. Ils prétendaient former une masse de cinquante mille guerriers, et ajoutaient qu’ils pouvaient sextupler ce nombre, sans compter les femmes et les enfants qui les suivent toujours à la guerre, suivant l’usage du pays. Il est vrai qu’alors le vaincu perd non-seulement la bataille, mais encore sa famille et son bétail. Sans discuter leurs exagérations, je leur répondis que je n’étais pas venu au Saubat pour faire la guerre, mais pour acheter de l’ivoire ; et me voyant résolu à refuser leur étrange proposition, ils se bornèrent à me demander ma neutralité dans la guerre qu’ils allaient faire aux Schelouks, ce que je leur promis aisément. Ils étaient persuadés qu’avec le secours d’une troupe d’hommes armés de fusil ils seraient invincibles.

Contrée des Schelouks sur le Saubat. — Dessin de Lancelot d’après Russegger.

Nous continuâmes à voyager sans autres incidents, le cours du fleuve continuant à être sinueux. Le 15, le chef d’un village ou je m’arrêtai pour acheter une dent d’éléphant me dit qu’un des hommes du sandal, que j’avais envoyé en avant, avait tué involontairement d’un coup de feu un de ses hommes, et il me pria de donner quelques verroteries au père du défunt, qu’il me présenta. Cet homme me parut médiocrement affligé, et je soupçonnai une fraude, d’autant plus qu’une femme dit à mon drogman que le défunt avait été frappé par les Nouers, et non par mes hommes. Je donnai cependant les ver-

    par la baisse subite des eaux et emprisonné par ce contre-temps, pendant onze mois, parmi des tribus peu sûres, harcelé et attaqué par les noirs, a failli plusieurs fois périr avec la jeune femme et l’enfant qui partageaient sa vie aventureuse. Sa relation, que j’ai dû abréger beaucoup en la traduisant, est proprement un journal de commerce écrit au jour le jour, et sans prétention à la publicité ; il offre par cela même une haute garantie de sincérité et d’exactitude.

    Le Saubat, sur lequel tous les géographes ont jusqu’ici adopté l’hypothèse qui l’identifie avec le fleuve d’Enaréa (S. d’Abyssinie), est le moins connu des grands affluents du fleuve Blanc. Tous les renseignements que j’ai pu avoir sur ce grand cours d’eau me confirment dans une pensée : c’est qu’il a sa source fort loin au sud-sud-est, qu’il reçoit une grande partie de ses eaux d’un ou deux canaux de dérivation du fleuve Blanc, et qu’il n’a aucun rapport avec le fleuve précité d’Enaréa, que je regarde, jusqu’à preuve du contraire, comme se rendant dans la mer des Indes sous les noms de Djouba (Ouebi Sidama, Jub, etc.). »

    Khartoum, août 1860. G. Lejean.