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les premières lueurs du matin. Mais plus j’approchais de notre destination, plus j’étais étonné de ne rien voir qui indiquât un centre populeux ; c’était à peine si je découvrais quelques misérables bouges, entourés de sorgho et de cannes à sucre, et protégés contre le soleil par des massifs d’élaïs et de bananiers. D’après ce que m’avaient dit les Arabes, je m’attendais à trouver un port, un marché plus importants qu’à Zanzibar, et je devais à la carte des missionnaires de Mombaz des idées préconçues, relativement à la ville d’Oujiji. Peu à peu les hippopotames se montrèrent plus timides, et les pirogues plus nombreuses ; notre barque fut poussée dans une trouée, faite au milieu d’un fouillis de plantes aquatiques, et s’arrêta sur un fond de galets où elle n’était plus à flots. Tel est le débarcadère, le quai du grand Oujiji.

« Nous fîmes à peu près cent pas au milieu d’un tumulte qui défie toute description. Suivis d’une foule d’indigènes à peau noire, si surpris que les yeux leur en sortaient de la tête, nous passâmes à côté du bazar, c’est-à-dire d’un plateau dépouillé d’herbe et flanqué d’un arbre tortu. Là, entre dix et trois heures, lorsque le temps le permet, un certain nombre d’indigènes vendent et achètent en faisant un bruit qui s’entend à plusieurs milles à la ronde, et souvent un coup de dague ou de lame y fait éclater la guerre de tribu à tribu. On y trouve du poisson, des légumes, des bananes, des melons d’eau, surtout du vin de palme, quelquefois des chèvres, des moutons et de la volaille ; de temps en temps on y brocante un esclave, ou un morceau d’ivoire. Les gens laborieux y apportent leur ouvrage, et filent ou épluchent du coton en attendant les chalands. De ce plateau, on me conduisit à une maison délabrée, que le propriétaire avait abandonnée aux esclaves et aux tiquets. Toutefois, situé à huit cents mètres du bourg, ce tembé avait le double avantage d’être à portée des vivres et dans une position délicieuse. Le lac est agréable à contempler de ses bords ; il n’en est pas de même lorsqu’on navigue sur ses eaux ; la monotonie des nuances fatigue le regard, tout y est vert et azur, et la ligne continue de montagnes fait naître une idée de réclusion.

Maisons des étrangers à Kaouélé. — Dessin de Lavieille d’après Burton.

« La capitale de l’Oujiji, qui est une province et non pas une ville, ainsi qu’on l’avait cru d’abord, était en 1857 le bourg de Kaouélé. Les Arabes le visitèrent pour la première fois en 1840, dix ans après qu’ils eurent pénétré dans l’Ounyamouézi ; leur intention était d’y établir un centre commercial, mais ils trouvèrent le climat insalubre, la population dangereuse, et l’Oujiji n’est fréquenté que pendant la belle saison, de mai en septembre, par des caravanes qui n’y séjournent pas. ».

Traduit par Mme Loreau.

(La fin à la prochaine livraison.)