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dres. Différentes espèces d’hirondelles, quelques-unes toutes mignonnes et d’une grâce particulière, y séjournent pendant l’été. L’autruche, le faucon, le pluvier, le corbeau, le gobe-mouche, la fauvette, le geai, la huppe, l’alouette, le roitelet et le rossignol y sont représentés, mais en petit nombre, ainsi que les chauves-souris. Quant aux ophidiens, outre le dendrophis, l’expédition ne rencontra qu’un serpent gris ardoise, à ventre argenté, qui abonde dans les cases, où il détruit les rats, et n’est pas venimeux. Les marécages sont remplis de grenouilles, dont l’affreux concert ressemble à celui qu’on entend dans le nouveau monde ; les lacs et les rivières contiennent des sangsues que les indigènes regardent comme habitées par des esprits, et qui par ce motif sont inviolables. Des myriapodes gigantesques sont communs dans les forêts et dans les champs, surtout pendant les pluies, et rien n’est plus hideux que l’aspect de ces articulés noirs à pieds rouges, traînant la masse de parasites dont ils sont couverts. À certaines époques il y a beaucoup de papillons dans le voisinage des eaux, où abondent également les libellules. Des nuées de sauterelles s’abattent de temps à autre sur le pays ; mais leur apparition n’a rien de régulier. Au printemps, des vols de criquets à ailes rouges s’élèvent de terre, couvrent les plantes, et disparaissent au commencement des pluies ; la variété noire, que les Arabes appellent âne de Satan, n’est pas rare, et sert comme aliment aux indigènes. Une mouche de la taille d’une petite guêpe et fatale aux bestiaux, infeste les bois de l’Ounyamouézi ; enfin certaines parties de la contrée sont couvertes de fourmilières, qui en vieillissant acquièrent la dureté du grès.

« Parmi les tribus qui occupent la Terre de la Lune deux seulement méritent de fixer l’attention : les Ouakimbou, venus du sud-ouest, il y a quelque vingt ans, et les Ouanyamouézi, originaires de la province. Les premiers se livrent à l’agriculture, élèvent du bétail, joignent à cela un peu de commerce, et quelques-uns font le voyage de la côte ; mais tous ces travaux ne parviennent pas à les enrichir.

« Les Ouanyamouézi, propriétaires du sol, industrieux et actifs, ont sur leurs voisins une supériorité réelle et forment le type des habitants de cette région. Leur peau, d’un brun de sépia foncé, a des effluves qui établissent leur parenté avec le nègre ; ils ont les cheveux crépus, les divisent en nombreux tire-bouchons, et les font retomber autour de la tête, comme les anciens Égyptiens ; leur barbe est courte et rare, et la plupart d’entre eux s’arrachent les cils. D’une taille élevée, ils sont bien faits et leurs membres annoncent la vigueur ; on ne voit de maigres, dans la tribu, que les adolescents, les affamés et les malades ; enfin ils passent pour être braves et pour vivre longtemps. Leur marque nationale consiste en une double rangée de cicatrices linéaires, allant du bord externe des sourcils jusqu’au milieu des joues, et qui parfois descendent jusqu’à la mâchoire inférieure ; chez quelques-uns une troisième ligne part du sommet du front, et s’arrête à la naissance du nez. Ce tatouage est fait en noir chez les hommes et bleu chez les femmes ; quelques élégantes y ajoutent de petites raies perpendiculaires, placées au-dessous des yeux ; toutes s’arrachent deux incisives de la mâchoire inférieure ; le sexe fort se contente d’enlever le coin des deux médianes supérieures. Hommes et femmes se distendent les oreilles par le poids des objets qu’ils y insèrent. Quant au costume, les riches ont des vêtements d’étoffe, les autres sont couverts de pelleteries. Les femmes, à qui leur fortune le permet, portent la longue tunique de la côte, le plus souvent attachée à la taille ; celles des classes pauvres ont sur la poitrine un plastron de cuir assoupli, et leur jupe, également en cuir, s’arrête au-dessus du genou ; chez les jeunes filles la poitrine est toujours découverte, et il est rare que les enfants ne soient pas entièrement nus. Des colliers nombreux, des fragments de coquillages, et des croissants d’ivoire d’hippopotame qui ornent la poitrine, des perles mi-parties, des grains de verre rouge enfilés dans la barbe (quand elle est assez longue pour cela), des anneaux d’airain massif, des bracelets de fil de laiton, de petites clochettes en fer, des étuis d’ivoire, forment les divers compléments de la toilette, et sont quelquefois réunis chez les merveilleux. En voyage, on porte une corne à bouquin en bandoulière ; au logis un petit cornet la remplace, et contient des talismans consacrés par le mganga.

« Les Ouanyamouézi ont peu de formalités civiles ou religieuses. Quand une femme est sur le point d’accoucher, elle se retire dans les jungles, et revient au bout de quelques heures avec son enfant sur le dos, et souvent une charge de bois sur la tête. Lorsque la couche est double, ce qui heureusement est plus rare que chez les Cafres, l’un des jumeaux est tué, et la mère emmaillotte une gourde qu’elle met dormir avec le survivant. Si l’épouse meurt sans postérité, le veuf réclame à son beau-père la somme qu’il avait donnée pour l’avoir ; si elle laisse un enfant, celui-ci hérite de la somme.

« La naissance, toutes les fois que les parents en ont le moyen, est célébrée par une orgie ; du reste, pas de cérémonies baptismales. Les enfants appartiennent au père, qui a sur eux un droit absolu, et peut les tuer ou les vendre sans encourir le moindre blâme. Ce sont les bâtards qui succèdent au père, à l’exclusion des enfants légitimes, qui, suivant l’opinion reçue, ayant une famille, ont moins besoin de fortune. Aussitôt qu’un garçon peut marcher, on commence à lui faire soigner le bétail ; quand il a quatre ans on lui donne un arc et des flèches, et on lui apprend à s’en servir ; sa dixième année révolue, on lui confie la garde du troupeau ; il se considère comme majeur, se cultive un carré de tabac, et rêve de se bâtir une cabane dont il sera le propriétaire ; il n’est pas dans la tribu un bambin de cet âge qui ne puisse suffire à ses besoins. La position des filles n’est pas moins remarquable ; dès qu’elles ont passé l’enfance, elles quittent la maison paternelle, se réunissent à leurs contemporaines, ce qui fait par village un groupe de huit à douze, et s’occupent en commun de la construction d’une grande case, où elles reçoivent qui bon leur semble. S’il arrive que l’une d’elles soit sur le point d’être mère, le coupable doit l’épouser sous peine d’amende.