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précipita dans les divers logements qui divisaient le tembé, et s’y installa avec autant d’égards pour soi-même que de mépris pour les propriétaires peu satisfaits. Quant à nous, placés sous une remise ouverte à tous les vents, nous remplîmes du matin jusqu’au soir le rôle de bêtes curieuses. »


Coup d’œil sur la vallée d’Ougogo. — Aridité. — Kraals. — Absence de combustible. — Géologie. — Climat. — Printemps. — Indigènes. — District de Toula. — Le chef Maoula. — Forêt dangereuse.

Le plateau que l’expédition venait de franchir s’étend de la vallée d’Ougogi (trente-trois degrés cinquante-quatre minutes longitude est) au district de Toula, qui constitue la marche orientale de l’Ounyamouézi (trente et un degrés trente-sept minutes longitude est). Située sous le vent d’une rampe, dont l’altitude force le mousson du sud-est à déposer les vapeurs qu’il transporte, et placée trop loin des grands lacs pour en ressentir l’influence, cette région est d’une aridité qui rappelle les Karrous et la plaine du Kalahari. Pas de rivières dans l’Ougogo ; les eaux pluviales y sont emportées par de larges noullahs, dont les bords d’argile se fendent pendant la sécheresse, et forment des polygones pareils à ceux du basalte. Les salines nitreuses et les plaines torréfiées y présentent quelques-uns des effets de mirage observés dans l’Arabie déserte ; les chemins n’y sont que des pistes, frayées à travers les buissons et les champs ; les kraals de petits enclos malpropres, autour d’un arbre où s’appuient les marchandises ; les cabanes de ces kraals, de pauvres hangars faits d’épines et couverts de chaume ; le manque de bois empêche qu’il en soit autrement, et, par le même motif, c’est la bouse de vache qui sert de combustible dans le pays.

Le sous-sol y est presque partout composé de grès, souvent couvert d’un sable rutilant, parfois d’une couche d’humus peu épaisse, et en général d’une argile ferrugineuse, jonchée de nodules de quartz, diversement colorées de masses de carbonate de chaux, ou de détritus siliceux, qui offrent plus de ressemblance avec le sable d’une allée qu’avec le riche terreau de la zone précédente. La manière dont l’eau s’y distribue, ou plutôt s’y conserve après la saison des pluies, divise cette région en trois grands districts : à l’est le Marenga-Mkali, épais fourré, où de misérables villages s’éparpillent au nord et au sud de la route. Au centre, l’Ougogo, le plus populeux et le mieux cultivé de la province, divisé en nombreux établissements, séparés les uns des autres par des buissons et des taillis, rempart verdoyant dans la saison pluvieuse, épineux pendant la sécheresse, et qui, dans tous les temps, s’oppose à la circulation de l’air. Enfin le Mgounda-Mkali, partie déserte, où la végétation n’est abondante que sur les collines, moins arides que les plaines.

Le vent d’est, qui vient des montagnes, souffle avec violence dans l’Ougogo pendant presque toute l’année, et la température y change brusquement sous l’influence des vents froids qui alternent avec des courants d’une chaleur singulière. « En été, le climat ressemble à celui du Sind : même ciel embrasé, mêmes nuits d’une fraîcheur pénétrante, mêmes ouragans poudreux. Quand le vent du nord, passant au-dessus de la chaîne des Ouahoumba, rencontre les rafales de l’Ousagara, échauffées par un sol brûlant, les molécules argileuses et siliceuses de cette terre désagrégée, les détritus des plantes carbonisées par le soleil surgissent en puissants tourbillons, qui parcourent la plaine avec la rapidité d’un cheval au galop, et qui, chargés de sable et de cailloux, frappent comme la grêle tout ce qu’ils rencontrent. Vers le milieu de novembre quelques ondées préliminaires, accompagnées de bourrasques furieuses, s’abattent sur cette région calcinée, et la vie qui paraissait éteinte renaît et déborde : c’est la saison des semailles, des fleurs, des chants et des nids.

« La caravane qui passe pour la première fois dans l’Ougogo se plaint des trombes, des nuées d’insectes, des revirements de température qu’elle y rencontre ; mais l’air y est salubre, et ceux qui reviennent de l’intérieur prodiguent leurs éloges au climat qu’ils avaient maudit.

« Dans l’est et dans le nord de la province, la race est vigoureuse et de couleur aussi claire que les Abyssiniens. La petitesse de la partie postérieure de la tête, relativement à la largeur de la face, jointe à la distension du lobe des oreilles, donne aux Ouagogo une physionomie particulière. Ils s’arrachent les deux incisives du milieu de la mâchoire inférieure ; quelques-uns se rasent la tête, la plupart se font une masse de petites nattes comme les anciens Égyptiens, et les enduisent, ainsi que tout leur corps, de terre ocreuse et micacée ; une couche de beurre fondu, brochant sur le tout, fait l’orgueil des puissants et des belles. Le haut du visage est souvent bien ; mais les lèvres sont épaisses et d’une expression brutale ; le corps est heureusement proportionné jusqu’aux hanches, le reste est défectueux. Même chez les femmes la physionomie est sauvage, la voix forte, stridente, impérieuse, et les paupières sont rougies et souvent altérées par l’ivresse.

« Comparé à ceux de leurs voisins, le costume des Ouagogo leur donne un certain air de civilisation ; il est aussi rare de voir parmi eux un vêtement de pelleterie, que de rencontrer plus à l’ouest quelque lambeau de cotonnade. Enfin leur curiosité ; même impudente, prouve qu’ils sont perfectibles ; le voyageur n’excite pas cette émotion chez les peuplades abruties, dont rien n’excite l’intérêt.

« Bien qu’il soit occupé par les Ouakimbou, le district de Toula, où entra la caravane au sortir de l’Ougogo, est regardé comme faisant partie de l’Ounyamouézi, dont il forme la frontière orientale.

« Après les fourrés épineux du Mgounda-Mkali, dont les jungles vous enserrent de tous côtés, cette vaste plaine, où se succèdent les bourgs et les champs de légumes et de céréales, apparaît comme une terre promise ; le village insignifiant où nous arrivâmes fit à nos hommes l’effet d’un paradis, et le 1er novembre ils se