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rizon une vaste plaine, dont le sol bourbeux, tapissé d’herbe, est aussi mobile que l’onde. L’aire de la fontaine a environ soixante mètres de diamètre, et la chaleur et la mobilité du sol empêchent d’approcher du point d’ébullition. D’après les indigènes, il arrive parfois que l’eau s’élance en jets puissants, et que des pierres calcaires sont projetées à une grande hauteur.

Jihoué la Mkoa ou la roche ronde. — D’après Burton.
La fontaine qui bout. Source thermale dans le Khoutou. — D’après Burton.

« Après avoir fait trois longues étapes, laissé derrière elle les pauvres villages du Khoutou, salué le dernier cocotier, franchi neuf fois le lit sableux, ou traversé les eaux bourbeuses de la Mgéta, la caravane gravit le premier degré de la chaîne de l’Ousagara. Aucune voix humaine, aucun vestige d’habitation : l’infernal trafic de l’homme a fait de ces lieux un désert, où l’on n’entend que les cris et les rugissements des bêtes sauvages, la transformation du climat est cependant merveilleuse ; la force et la santé nous revenaient comme par magie. Plus de bourrasques fouettant des pluies diluviennes, plus de brouillards voilant un sol putréfié, plus de vapeurs fétides : un ciel bleu, un air balsamique à la fois doux et vivifiant, une végétation d’un vert franc et varié, un horizon baigné d’azur. De beaux arbres, parmi lesquels se remarque le tamarin, succèdent aux fourrés d’épines. Le soleil est radieux, sa clarté s’épanche sur des blocs de quartz blancs, jaunes et rouges, et la brise de mer agite le feuillage, où des plantes grimpantes ont suspendu leurs girandoles. Une foule de singes babillent et jouent à cache-cache derrière les troncs élancés, tandis que l’iguane expose à la chaleur son armure écailleuse. Les colombes roucoulent dans les bosquets, des faucons planent auprès des nues, et, dans les airs au versant des collines au fond des plis de terrain, la vie éclate et se révèle par des myriades de voix joyeuses. Le soir, le murmure de l’eau se mêle aux soupirs de la brise, et le mugissement de la grenouille-taureau, le jappement du renard, le cri du héron nocturne retentissent de loin en loin à travers un silence d’une mélancolie indicible ; la lune répand sa douce lumière sur des collines rougeâtres ; des étoiles sans nombre scintillent au-dessus du paysage endormi ; et pour mieux faire sentir le charme de ce tableau paisible, on entrevoit la ligne fangeuse du Zoungoméro, surplombé d’un ciel morne, voilé de brume, tourmenté par le vent, inondé par des nuages qui n’osent pas approcher de la montagne. »

Le lendemain, nos voyageurs reprennent leur course ; le sentier se dévide sur des coteaux escarpés, au sol rouge, parsemés de roches, maigrement tapissés d’herbe, et dont l’aloès, le cactus, l’euphorbe, l’asclépias géante et les mimosas rabougris annoncent l’aridité ; cependant le baobab y est encore majestueux, et l’on y voit de beaux tamarins, qui ont donné leur nom à ce district. Des squelettes parfaitement nettoyés, çà et là des cadavres tuméfiés de porteurs, qui sont morts de faim ou de la petite vérole, attristent la route.

Quatre jours après, l’expédition atteignait le plateau qui couronne la montagne, en descendait les douze étages, et retrouvait bientôt les ravins fangeux, le sol fétide, les ondées et la fièvre, tandis que la désertion se mettait dans les rangs des porteurs.

Le 21 août, les voyageurs traversaient la plaine longitudinale qui, s’inclinant à l’ouest, sépare le Roufouta de la chaîne du Moukondokoua. Le 22, ils étaient frappés de l’un de ces contrastes qui vous surprennent en Afrique, « où il est rare que la beauté et la grâce ne soient pas brusquement remplacées par le hideux et le grotesque. Cette fois de grandes lignes d’azur, brisées par les cimes castellées des rocs, fermaient l’horizon ; la plaine, dorée par le soleil, ressemblait à un parc ayant ses feuilles d’automne ; des groupes d’indigènes