Page:Le Tour du monde - 02.djvu/307

Cette page a été validée par deux contributeurs.

brûlent de la poudre, et jouent tout ce qu’ils possèdent ; les barbes blanches racontent les merveilles du Béloutchistan, dont les neiges, les fruits savoureux, les eaux transparentes ne trouvent que des incrédules. Le reste de la population est composée de Ouamrima[1], tribu de sang mêlé arabe et africain, dont la vie s’écoule au milieu d’une abondance relative ayant deux sources : le détroussement à l’amiable des caravanes qui reviennent de l’intérieur, et le rapport de vastes champs de légumes et de céréales dont les produits alimentent l’île de Zanzibar et s’exportent jusqu’en Arabie[2].

« Les Ouamrima sont gouvernés par des chefs dépendant de Zanzibar, et dont le nombre est partout en raison inverse de l’importance des localités qu’ils exploitent. Ces tyranneaux jouissent, à l’égard des trafiquants, du privilége d’exaction dans toute son étendue, et le concèdent à leurs administrés, qui pillent les caravanes déjà mises à rançon, d’où l’horreur des étrangers qui, en modifiant les bases du négoce, pourraient porter atteinte à ce régime lucratif. Il en résulte qu’à peine étions-nous dans Kaolé, notre escorte fut saisie d’effroi en pensant aux difficultés du voyage, et déclara qu’il ne nous fallait pas moins de cent gardes, plusieurs canons et cent cinquante mousquets pour pénétrer dans l’intérieur. Je ne partageais pas les craintes de mes braves, mais je savais que nous entrerions sur cette terre inconnue dans une saison fatale ; chaque minute de retard augmentait les chances de fièvre ; et malgré cela nous n’étions, le 2 juillet, qu’à notre première étape. Enfin, après avoir commencé avant le jour nos préparatifs de départ, et cela pour la troisième fois, nous nous trouvâmes, à huit heures du matin, sur un sen-

  1. Dans la langue des tribus de la côte de Zanguebar, et dans les idiomes qui s’y rattachent, le nom éveillant une idée première ne s’emploie qu’avec un préfixe qui en modifie l’acception : Ou signifie région, contrée : Ouzaramo, région de Zaramo ; M indique l’individu : Mzaramo, un habitant de l’Ouzaramo ; pour former le pluriel, l’M est remplacé par Oua (racine de Ouatou qui signifie peuple) : Ouazaramo, tribu du Zaramo ; enfin la syllabe Ki annonce quelque chose appartenant à la contrée ou à la peuplade qui l’habite, et désigne principalement l’idiome : Kizaramo, langage parlé dans l’Ouzaramo.
  2. Ces champs sont cultivés par des esclaves, tandis que les maîtres se livrent à la débauche ; et la partie féminine de la population étant beaucoup plus nombreuse que la partie masculine, on comprend ce qui advient de cette différence numérique. Les Ouamrima sont, au demeurant, fort peu dignes d’intérêt et ne valent guère mieux au physique qu’au moral. Chez le métis arabe, la partie supérieure du visage, y compris les narines, appartient bien à la race sémitique ; mais il a la mâchoire proéminente et allongée, les lèvres tuméfiées et pendantes, et le menton faible et fuyant. Oisif et dissolu, quoique intelligent et rusé, cet hybride a peu d’instruction : on le met à l’école de sa septième à sa dixième année, il y apprend à déchiffrer le Coran, à tracer d’anciens caractères arabes qu’il applique au langage de la côte, et qui ne se rapportant pas à cet idiome, sont inintelligibles. Quelques prières complètent son bagage scientifique ; c’est bien le plus ignorant de tout l’Islam ; néanmoins il est assez fanatique pour être dangereux. Son unique point d’honneur paraît être de porter un turban et une longue tunique jaune en témoignage de son origine arabe, origine dont les caractères s’effacent chez lui avec tant de rapidité, qu’à la troisième génération il ne diffère presque plus du négroïde indigène,