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amplement. Le capitaine, ne se dissimulant pas les difficultés de l’entreprise, demanda qu’on lui adjoignît le capitaine Speke, attaché, comme lui, à l’armée des Indes ; et le 16 juin 1857, à midi, ces courageux explorateurs se dirigeaient vers la côte africaine, à bord d’une corvette de dix-huit canons, appartenant au saïd Méjid, fils de l’iman de Mascate, allié de la France et de l’Angleterre. Voici le récit du capitaine Burton.


RÉCIT.


Zanzibar. — Aspect de la côte. — Un village. — Les Béloutchis. — Ouamrima. — Fertilité du sol. — Dégoût inspiré par le pantalon. — Vallée de la mort. — Supplice de M. Maizan. — Hallucination de l’assassin. — Horreur du paysage. — Humidité. — Zoungoméro. — Effets de la traite.


« Après la dépense de poudre qui, dans ces parages, annonce tout ce qui fait événement, depuis la naissance d’un prince jusqu’au départ d’un évêque, nous quittons le port de Zanzibar. Plus sûre que rapide, l’Artémise nous permet de contempler pendant longtemps les mosquées et les maisons blanches des Arabes, les cases des indigènes, les cocotiers du rivage, et les plantations de girofliers qui zèbrent les collines rutilantes. Le souffle embaumé de l’océan Indien pousse le navire, le soleil fait étinceler autour de nous l’azur des flots où la mer est profonde, et le vert brillant des canaux, situés entre les îles de Koumbéni et de Choumbi, la première chargée de grands bois, la seconde couverte d’un épais fourré. Puis la grève se confond avec l’océan, la bande rouge des récifs disparaît sous les vagues, la terre passe de l’émeraude au brun et au violet, la cime des arbres paraît flotter sur l’onde, et, quand arrive le soir, une ligne obscure, pareille au contour vaporeux d’un nuage, est tout ce que nous apercevons de Zanzibar.

« Le lendemain (17 juin 1857), vers six heures de l’après-midi, l’Artèmise jetait l’ancre à la hauteur de Wale-Point, promontoire effilé, bas et sablonneux, situé à cent trente-cinq kilomètres de la petite ville de Bagamayo, par six degrés vingt-trois minutes de latitude sud. Il y a quelque chose qui vous intéresse dans l’aspect de la Mrima, ainsi que les habitants de Zanzibar appellent cette portion de la côte d’Afrique. L’océan Indien, que brise au couchant une raie d’écume, chargée de détritus de coralines et de madrépores, découpe le rivage, y forme des criques, des bayous, des marigots, où après avoir épuisé leur furie contre des diabolitos, des banquettes de sable et de rochers noirs, des masses d’un conglomérat bruni par le soleil, et de fortes estacades disposées en croissant, les vagues s’endorment au sein d’eaux mortes, pareilles à des nappes d’huile. Bien qu’à peine au-dessus du niveau de la mer, les pointes et les îlots, formés par ces courants, n’en sont pas moins chargés d’une végétation luxuriante. Des forêts de mangliers couvrent les bords des lagunes ; à la marée basse, l’amas conique de racines qui supporte chaque arbre est mis à nu, et montre les jeunes scions terminés par des grappes d’un vert brillant. Les fleurs lilas, et les feuilles charnues d’une espèce de convolvulus retiennent le sable qui est d’un blanc pur, et des huîtres sont appendues à la base des palétuviers. Au-dessus de l’océan, le rivage forme une épaisse muraille de verdure, et des groupes de vieux arbres chauves, inclinés par les moussons, indiquent la position des établissements qui s’éparpillent sur la côte. Çà et là des monticules dénudés percent le manteau vert du sol, en varient la couleur uniforme de leur teinte rubigineuse, et derrière l’alluvion qui, sur une largeur de trois à cinq milles, compose le littoral, se dresse une ligne bleue qu’on aperçoit même de Zanzibar : ce sont les dunes qui constituaient jadis le fond de la baie, et qui maintenant servent de frontière aux indigènes. À cette esquisse, ajoutez le bruit des vagues, le cri des oiseaux de mer, le bourdonnement perpétuel des insectes, qui s’apaise au coucher du soleil ; et dans le profond silence des nuits du tropique, le mugissement du crocodile, le cri du héron nocturne, les clameurs et les coups de feu des habitants, qui, aux grognements qui se font entendre, reconnaissent que l’hippopotame franchit la berge, pour aller visiter leurs récoltes.

« Vous abordez au milieu des exclamations des hommes, des cris aigus des femmes, des remarques naïves des enfants ; un chemin étroit, frayé au travers d’une jungle épaisse, entremêlée de champs de millet, gravit une côte escarpée et vous conduit à une palissade ; à l’intérieur de cette enceinte, vous trouvez une douzaine de cases faites avec de la boue et des branches de mangliers, divisées en plusieurs compartiments, et séparées de leurs voisines par une série de grandes cours, soigneusement closes, occupées par les enfants et par les femmes. Il n’y a pas de fenêtres à ces cases, mais le toit, composé de nattes grossières, est assez élevé pour que l’aération des chambres soit tolérable ; un hangar, formé à l’extérieur par la projection de la couverture, abrite un large banc en pisé, recouvert de nattes, et sert d’atelier, de boutique et de parloir. Autour des habitations les plus considérables, une masse de cabanes constitue les communs. Tel est Kaolé, type du village maritime de cette partie de la côte, où depuis Mombaz, jusqu’au sud de Quiloa, chaque établissement n’a d’autre édifice en maçonnerie qu’un fort quadrangulaire, bâti avec de la coraline, et dont la partie basse, employée comme magasin par les Banians, est couronnée d’une terrasse à créneaux, où veillent les gens du guet.

« Dans les villes de garnison, la majeure partie des habitants se compose de soldats et de leurs familles. Descendants de Béloutchis qui vinrent s’établir à Maskate, mais pour la plupart natifs de l’Oman, où ils étaient fakirs, marins, journaliers, portefaix, barbiers, mendiants et voleurs, ces vauriens furent enrégimentés par Ben-Hamed, l’aïeul du saïd actuel, et depuis lors ils sont employés à contenir la partie la plus remuante des sujets de Sa Hautesse. Braillards et turbulents, ces garnisaires, qui ont conservé le nom de Béloutchis, sont une copie effacée des Bachi-Bouzouks, et bien inférieurs, comme enfants perdus, aux Arnautes et aux Kourdes. Leur vie se passe à boire tant qu’ils peuvent, à fumer, à jaser, à se disputer ; les plus jeunes se battent entre eux,