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rouges est pour beaucoup dans ce surnom, les Shans portant le pantalon bleu.

Le nom que se donnent les Karen-nis est Koyas, et les Shans les appellent Niangs. Leur tradition veut qu’ils soient les descendants d’un corps d’armée chinois qui s’endormit et que l’armée laissa derrière elle dans une retraite. Il est singulier que les Kyens de Yoma-doung aient la même tradition sur leur origine, à la différence, toutefois, que l’armée était birmane et non chinoise.

Les Karens rouges sont de petite taille, avec des jambes grêles et de gros ventres ; leur malpropreté est notoire. Ils vivent dans un état de société qui n’est cependant pas la sauvagerie, et bien des Shans se sont établis sur leur territoire, trouvant leur régime social plus doux que celui des Birmans. Leurs seuls actes religieux consistent à apaiser les esprits malins qui frappent de maladie, et les sacrifices qu’ils leur font sont considérables. Ils se servent, dans leurs transactions commerciales, d’une monnaie d’argent assez grossière et des poids en usage en Birmanie ; leur agriculture est remarquable sous plus d’un rapport.

Tout leur pays est montagneux, et dans la partie sud de leur district il y a des pics de deux mille cinq cents mètres d’élévation. Leurs villages sont généralement situés sur les collines arrondies ou planes. La population est considérable. Dans une partie de leur pays, entre le Salouen et le Me-pon, on voit les cultures s’étendre jusqu’au sommet des coteaux, les vallées se dérouler en terrasses à la mode chinoise, les routes sillonner le pays, et les villages nombreux à ce point que d’un coup d’œil on peut en embrasser huit ou dix. Leur plus fort village est Ngouèdoung, dont les habitants sont en majeure partie des Shans fugitifs.

Ces Karens rouges sont la terreur des districts avoisinants de la Birmanie, où ils vont faire des razzias et enlever les habitants, qu’ils échangent comme esclaves contre des buffles et des bœufs chez les Shans siamois. Ce sont aussi les receleurs des esclaves que font entre elles les petites communautés karennes sur les frontières du côté de Toungoo. Les villes voisines leur payent redevance pour se garantir de leurs incursions, qui s’étendent assez loin pour forcer les habitants de Nyoung-Ynoué, à trente-deux kilomètres de leurs frontières, à se tenir constamment en garde contre eux.

Les principautés shannes peuvent être divisées en cis-salouennes et trans-salouennes. Le premier des États cis-saluens, en quittant le pays des Karen-ni, qui forme sa frontière sud, est celui de Mobyé.

Ce petit État, dans le voisinage des Karens rouges, a été tellement dévasté par eux, qu’il ne reste plus au tsauboua ou prince, que l’espace compris dans les murs de sa ville. À la fin, n’ayant pu obtenir de secours de son suzerain d’Ava, il cessa de lui payer tribut et transféra son allégeance à ses redoutables voisins.

Puis vient l’État de Mokmé ou Moung-mé, a cinq jours de marche de Moyé et à trois jours de la frontière des Karen-ni ; il est tellement harassé par les razzias des Karens rouges, que tous les chefs de villages leur payent redevance. La ville de Mokmé peut contenir trois cent cinquante maisons.

À deux jours de marche nord de Mokmé se trouve la capitale de l’État de Moné, qui est le centre du gouvernement des Birmans sur les principautés shannes ; aussi les Birmans y sont nombreux. Le territoire est assez étendu au delà du Salouen. La ville, qui est située à cinq cents mètres au-dessus du niveau de la mer, est la plus grande de toutes les cités shannes ; elle peut contenir huit mille âmes. Elle est bâtie au pied des collines qui bordent la fertile vallée de Nam-toueen, tributaire du Me-pon. À cinquante-six kilomètres nord-ouest de Moné se trouve le Nyoung-Ynoué. C’est le plus occidental de tous ces États et ce fut jadis un des plus grands et des plus importants. Mais les déprédations des Karens rouges, la tyrannie des Birmans, les dissensions intérieures ont tellement réduit la puissance de son tsauboua, qu’elle ne s’étend guère que sur une centaine de familles.

La ville ne contient pas plus de cent cinquante maisons. Elle est située dans un bassin d’alluvion assez étendu et se trouve à cinq cent cinquante mètres au-dessus de la mer. L’ensemble de ce bassin paraît avoir été le lit d’un lac assez semblable à la vallée de Munipour ; il en reste des traces dans le centre de ce terrain, où se trouve un petit lac de vingt-deux kilomètres d’étendue, peu profond, et qui tend à se dessécher graduellement.

Bien que le nombre des habitations soit fort réduit sur le territoire du tsauboua, cependant la population de la vallée est considérable et paye un tribut direct à la cour d’Ava. On y cultive principalement le riz, la canne à sucre, le maïs, etc.

C’est dans ce district que se trouve le lac Nyoung-Ynoué, à la surface duquel flottent d’innombrables îles naturelles, formées de racines de roseaux et d’herbes entremêlées et recouvertes d’un peu de terre. Elles servent de bateaux de pêche ; on y construit même des chaumières : elles tremblent sous les pieds, et, par un temps d’orage, tournent à tout vent ; il y en a d’assez grandes pour qu’on y voie trois à quatre chaumières. Une énorme vieille femme, qui habitait un de ces îlots, où nous descendîmes pour déjeuner, s’amusa beaucoup de la peur que manifestait un homme de notre suite en mettant le pied sur ce sol mouvant.

Les tsaubouas de toutes ces petites principautés, même quand ils sont dans la dépendance la plus absolue de la Birmanie, tranchent de la royauté ; ils épousent leurs demi-sœurs, ils ont, comme le Phra d’Ava, leur Ein-shé-men, leurs Atwen-woons, Thandaut-ens, Nakhangyis, etc. Leurs palais ont le triple toit, le htee sacré et le parasol blanc ; en un mot, tous les insignes de la royauté.

Le pouvoir que les Birmans exercent sur ces principicules est en raison de la distance ; les plus voisins du centre du royaume sont tyranniquement opprimés ; les tributs qu’envoie le Kiang-hung, situé sur les frontières de Chine, est une simple affaire de forme. Les contingents que tous ces tributaires réunis doivent aux Birmans en temps de guerre, peuvent s’élever à vingt mille hommes.

Il est à remarquer que tous les voyageurs s’accordent