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Les ascètes bouddhistes ont droit à l’adoration des laïques. Ce sont de véritables moines, bien qu’ils assument parfois le caractère de prêtre, en accomplissant certaines cérémonies qui passent pour attirer des grâces sur ceux pour lesquels on les accomplit, en pratiquant certains devoirs, comme de lire quelques-uns des livres sacrés au peuple et d’instruire la jeunesse. Toutefois, leur principale affaire est, et a été dès l’origine, de travailler à leur propre rédemption.

La doctrine touchant les laïques est obscure ; ils constituent néanmoins le complément nécessaire du système. L’ascète dépend d’eux pour sa subsistance, leur prêche la doctrine, et les reconnaît capables d’atteindre à quelques mérites et de s’élever dans l’échelle de la félicité future. Mais on n’atteint le but final qu’en adoptant la vie monastique.

Le culte des pagodes s’explique difficilement, bien qu’il ait pu prendre naissance à l’origine dans le respect dû aux reliques de Gautama ou de ses apôtres dont elles recueillirent les restes sacrés[1]. Mais à cette heure la pagode elle-même, indépendante de toute relique, semble être l’objet du culte. On offre à la pagode des fleurs, des cierges et des feuilles d’or, et ceux qui font acte d’adoration devant elle acquièrent des mérites qui porteront leurs fruits aussi sûrement que si le Bouddha était présent dans le symbole sacré.

La morale du bouddhisme, plus pure que celle du brahmanisme, a des maximes qui rappellent les préceptes de l’Évangile. En Birmanie, la réputation des moines tend à se maintenir sur un bon pied, et cependant leur système de morale n’influe guère sur le caractère du peuple. Ce qui prédomine, dans le système, est l’appel à la tendresse du cœur, et pourtant il n’y a pas de pays, si ce n’est peut-être la Chine demi-bouddhiste, où la vie soit sacrifiée plus aveuglément, plus cruellement, soit dans l’application des pénalités, soit dans la perpétration des crimes privés.


Visites aux grands fonctionnaires. — Les dames birmanes.

Le 24 septembre, l’ambassadeur accompagné du docteur Forsyth, du major Allan et de M. Edwards, rendit une visite de cérémonie aux quatre woon-gyis et au vieux Moung-Pathea, nan-ma-dau-woon ou contrôleur du palais de la reine mère, et que nous connaissions sous le nom de Dalla-Woon, d’après le poste qu’il occupait en qualité de gouverneur de ce district au commencement de la guerre. Nous voulûmes lui faire honneur en tant que chef de l’ambassade qui était allée à Calcutta, mais aussi à cause de l’estime que nous avions pour lui.

La première course fut pour le magwé-mengyi, le plus considéré des woon-gyis ainsi que le plus intelligent. Il vint à la rencontre de l’ambassadeur jusqu’au bas de l’escalier et l’introduisit dans la salle de réception que l’on avait évidemment décorée à notre intention. Des tapis recouvraient le plancher, et il y avait des chaises disposées autour d’une table qui occupait le centre de la pièce. Un large rideau de soie séparait cette partie de la salle de l’antre qui servait d’appartement aux femmes. Relevé par un de ses coins, ce rideau permettait de voir les dames de la famille accroupies sur des tapis.

Bon nombre de Birmans respectables par leur âge, et bien vêtus, siégeaient çà et la dans la salle et dans la verandah ; à l’extérieur, il y avait une foule de gens respectueusement accroupis et qui paraissaient être des voisins que la curiosité avait poussés à assister à l’entrevue.

Peu d’instants après l’arrivée des visiteurs on servit le déjeuner. Deux bandes d’une longue étoffe remplaçaient la nappe ; les plats, couteaux, fourchettes, tasses et soucoupes, aussi bien que le thé, étaient servis à l’anglaise, et un Indien, ancien domestique d’un officier, remplissait le rôle de majordome.

D’abord on servit pain et beurre, muffins et tartes ; et comme les domestiques en rapportaient, le woon-gyi s’écria plaisamment : « Allons, allons, ils connaissent les mets anglais, qu’on apporte maintenant les mets birmans ! » et nous pûmes compter cinquante-sept plats où les sucreries et les friandises les plus variées étaient accumulées à profusion.

À la demande du major Phayre, la femme du woon-gyi, dame d’un certain âge, fut priée de vouloir bien s’asseoir à table avec nous. On plaça une chaise à côté de l’ambassadeur ; mais la respectable dame, qui n’avait pas l’aisance de manières de son mari, demanda qu’on l’écartât de la table avant de vouloir s’y asseoir, ce qui ne suffit qu’à demi pour la mettre à l’aise, car elle ne tarda pas à ajuster son vêtement de façon à pouvoir croiser ses jambes sous elle. Elle avait de fort belles bagues ornées de diamants de grand prix.

Le woon-gyi parlait volontiers et avec assez de gaieté, commençant par les questions d’usage chez les Birmans, sur l’âge des personnes présentes, si elles étaient ou non mariées, et il s’étonna fort que l’ambassadeur et le major Allan fussent restés garçons. « Quand vous vous marierez, dit-il, j’espère que vous amènerez vos femmes ici. »

Après le déjeuner, on apporta le dessert, à la birmane, dans une série de plateaux, remplis de petits plats en or et en argent, contenant des noix de bétel, du bétel préparé, du chunam, du thé confit et mariné, du gingembre salé en tranches minces, de l’ail frit, des noisettes dépouillées de leur coque et des noix de terre rôties. Les convives birmans semblèrent se délecter du bétel et du thé mariné plus que de toute autre friandise, et le vieux Camaretta en fit autant. Les cigares terminèrent la fête.

Notre seconde visite officielle fut pour le mein-loung-mengyi, qui emprunte son titre à un district septentrional du royaume. C’est un personnage, approchant de la soixantaine, édenté et d’assez pauvre mine. Sa vieille

  1. Ce culte et l’adoration des reliques n’ont commencé que lorsque la pureté primitive de la doctrine bouddhique, toute spiritualiste à l’origine, était déjà très-altérée par suite de l’ignorance superstitieuse des populations ; M. Barthélemy Saint-Hilaire a donné récemment, en France, une étude complète du bouddhisme. Beaucoup de détails curieux sur cette religion ont été réunis dans les notes de l’article Fa-hian, à la fin de notre volume des Voyageurs anciens.